Des mensonges dans nos têtes
Robin Talley

Mosaic
septembre 2015
384 p.  13,90 €
 
 
 
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1964, un lycée en Virginie est contraint par la loi de s’ouvrir aux étudiants noirs. Ségrégation, intégrationnisme, racisme, haine, amours, passion, pardon, ouverture, tolérance, violence… Un livre est qualifié de chorale quand il foisonne de personnages divers et variés. Ici il est plutôt question d’une chorale de sentiments et d’attitudes. Robin Talley balaie large et ça fonctionne. Son livre tourne autour de Sarah, adolescente noire, en classe de « terminale » qui intègre, avec une dizaine de ses semblables éparpillés de la troisième à la terminale, un lycée jusqu’alors interdit aux noirs, et de Linda, étudiante blanche dont le père dirige la feuille de chou locale, issue d’une famille intrinsèquement opposée à l’intégration des noires dans la société américaine. Ils sont peu nombreux, si ce n’est inexistants, ceux qui soutiennent les étudiants noirs au moment de la rentrée scolaires, tout comme celles et ceux qui prônent une tolérance qui prend souvent la forme d’une ignorance des autres. Le thème est connu, archiconnu, rebattu et le livre de Robin Talley n’apprendra pas grand-chose aux adultes, ni forcément aux adolescents. Mais il constitue une façon d’aborder le sujet du racisme et de la haine tel qu’il est visible aujourd’hui à travers un pan de l’histoire américaine qui n’est pas si vieux que cela. Si cela parait au premier abord facile et inutile, Robin Talley rajoute à son drame historique une trame sentimentale entre Sarah et Linda qu’elle parvient pourtant à ne pas rendre cul-cul-la-praline ou larmoyant à outrance mais qui sert son propos pour montrer que les haines d’antan, outre qu’elles n’ont pas forcément beaucoup évoluées, peuvent prendre des tours et des détours et ne pas uniquement se focaliser sur la couleur. Toute tendance à rejeter l’autre pour ce qu’il est est une attitude foncièrement raciste. Cela semble évident, mais cela ne fait pas de mal de le rappeler régulièrement… on a tous tendance à l’oublier de temps à autre. Il rappelle également que le rejet n’est pas l’apanage des plus racistes et que des personnes tolérantes par ailleurs peuvent aussi, au nom d’un précepte religieux, rejeter d’autres êtres humains sur la base de préférences sexuelles ou de croyances religieuses autres… Les graines de la haine sont nombreuses et les terreaux fertiles. On pourra toujours reprocher à Robon Talley d’avoir besoin de l’amour naissant entre Sarah et Linda pour que cette dernière fasse un travail de réflexion sur son rejet des personnes de couleur et que cette réflexion ne vienne pas naturellement. Mais il fallait peut-être un artifice extérieur pour que Linda sorte du carcan dans lequel un père membre du Ku Klux Klan la maintenait. Cela se discute mais ne retire aucune qualité à ce récit. Symboliquement, les chapitres sont tous intitulés « Premier mensonge », « Deuxième mensonge », etc… jusqu’au vingt-sixième et dernier mensonge avant de basculer sur des « vérités » : 26 comme les lettres de l’alphabet, comme si Sarah et Linda, qui se voilent la face et se mentent à elles-mêmes, devaient faire le tour de la question avant de pouvoir accepter leurs changements, s’accepter elles-mêmes dans leur sexualité autant que dans leurs rapports aux autres. Ciblez vos ados, mais ce livre pourrait leur donner du grain à moudre au-delà d’une histoire purement ségrégationniste qui possède de très fortes résonances actuelles.

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