Et nos yeux doivent accueillir l'aurore
Sigrid Nunez

Rue Fromentin Editions
janvier 2014
405 p.  23 €
 
 
 
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Un roman d’une intensité rare

Au commencement du roman, nous assistons à la rencontre entre Georgette George et Ann Drayton, deux jeunes femmes qui partageront désormais leur chambre universitaire. Nous sommes à la fin des années soixante aux Etat-Unis. À première vue, ces étudiantes sont extrêmement différentes l’une de l’autre : Ann, fille unique, a passé une enfance privilégiée entourée d’amour et d’argent et a reçu une bonne éducation alors que Georgette vient d’un milieu très modeste, a cinq frères et soeurs, un père inconnu et une mère indifférente qui n’hésite pas à brimer et maltraiter ses enfants. Pourtant, quitter leur famille respective fut pour elles une délivrance
S’il est aisé de comprendre le soulagement de Georgette, qui est en quête de douceur, d’émancipation et de confort, celui d’Ann surprend davantage. Cette dernière est un petit bout de femme qui peut paraître fragile au premier abord, mais très vite on découvre quelqu’un d’une grande force physique et mentale, avec des idéaux plein la tête, une haine profonde envers ses origines et ses parents donc, un engagement politique déjà ancré malgré son jeune âge, une envie de bousculer les choses établies, une révoltée indignée par l’injustice, le racisme et la condition des femmes.
La cohabitation n’est pas tout de suite évidente, Georgette reste volontairement distante. Mais le temps fait son oeuvre, et l’amitié naît entre les jeunes femmes. Un lien se crée empli de respect et d’ admiration. Elles s’apportent beaucoup l’une à l’autre.
Les études finies, chacune suit sa route. Elles se comprennent de moins en moins. Leurs buts dans la vie diffèrent. Ann poursuit sa lutte auprès des opprimés et Georgette obtient son premier emploi dans un magazine féminin.
Et puis c’est la rupture, soudaine et implacable, pour un mot de trop.
Les années passent, Georgette pose un regard sur son existence, son enfance, ses amours successifs, sa progéniture, sa passion pour la littérature et la poésie, son travail, ses amis, sa soeur Solange… toute une époque défile sous nos yeux retraçant le mouvement hippie, les dégâts causés par la drogue, la liberté sexuelle, la musique des années 70,Woodstock, Bob Dylan, Les Rolling Stones… la guerre du Vietnam, la ségrégation raciale… et toujours flotte, derrière ses souvenirs, une image en transparence : celle d’Ann.
Jusqu’au jour où elle apprend qu’Ann est inculpée pour le meurtre d’un policier.
Ce roman est une fresque réaliste de la société américaine. L’auteure pose un regard juste, souvent dur et sombre mais touchant. On sent que le trait n’est pas grossi, pas forcé. Il se dégage de ce livre sincérité et sensibilité et à aucun moment on ne tombe dans le pathos. Je me souviendrai longtemps de la longue évocation d’Ann en prison ; Sigrid Nunez y dépeint avec une grande intelligence un milieu qu’on connait peu. Je voudrais tout de même souligner qu’il m’est arrivé de perdre un peu le fil de l’histoire avec les nombreux flashbacks, les changements de narrateurs, la multitude de détails et le foisonnement des personnages mais ce roman mérite d’être lu par le plus grand nombre. Un roman passionnant d’une intensité rare avec deux portraits magnifiques de femmes, charismatiques, persévérantes et exigeantes.
Retrouver Nadael sur son blog 

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