Etoiles vagabondes
Sholem Aleykhem

traduit du yiddish par Jean Spector
Le Tripode
mars 2020
640 p.  25 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

La vie est un théâtre

Sholem Aleykhem (1859-1916), pseudonyme hébreu signifiant « Que la paix soit avec vous », est un célèbre écrivain ukrainien de langue yiddish, considéré de son vivant comme le « Mark Twain juif ». Un de ses plus grands romans, publié initialement entre 1909 et 1911 dans un journal varsovien, nous parvient aujourd’hui grâce à un beau travail de traduction et d’édition. « Etoiles vagabondes » est le type même du roman-feuilleton : aventures en pagaille, amours, personnages hauts en couleur, pérégrinations ; à la fois roman d’apprentissage et roman picaresque, roman comique et roman d’aventures, avec le théâtre pour toile de fond. On y entre par un shtetl d’Europe de l’Est et on en ressort à New York, au terme de l’errance d’une troupe de saltimbanques yiddish.

Dans une bourgade juive d’Europe de l’Est, Leybl Rafalowitch et Reyzl Spivak cachent leurs amours adolescentes interdites. Le premier est le fils de l’homme le plus riche du village, la seconde la fille d’un pauvre chantre. Lorsqu’une troupe de théâtre itinérante vient planter ses tréteaux, tous deux sont éblouis. L’une caresse le rêve de chanter, l’autre souhaite être comédien. Prenant la décision de s’enfuir, ils se jurent fidélité et se séparent comme deux « étoiles vagabondes ». Leybl disparaît avec une partie de la troupe, Reyzl avec l’autre, laissant derrière eux les traditions séculaires du shtetl. De Bucarest à New York, en passant par Vienne et Londres, nos deux héros, dirigés par des imprésarios avides, vont apprendre l’art de la scène. Leybl, devenu Léo Rafalesco, évolue du théâtre folklorique yiddish vers la tragédie et un jeu plus naturel, tandis que Reyzl – Rosalia Spivak – entame une carrière à succès de  prima donna. Complots, rencontres, désillusions, le monde est riche d’expériences. Leur serment de jeunesse survivra-t-il au tourbillon de la vie et à la célébrité ?

Avec un plaisir manifeste, Sholem Aleykhem narre les aventures de ses personnages, rêveurs parfois ridicules, opportunistes, cabotins mais attachants. Si les sources du rire sont multiples, exagérations, caricatures, comique de mots, de situation, l’enjeu est profond ; il s’agit de conquérir sa liberté individuelle, de partir, de s’affranchir des codes rigoristes du judaïsme. Cependant, l’auteur est aussi critique envers l’étroitesse religieuse de l’ancien monde qu’envers le rêve américain, paradis des self-made men hâbleurs vénérant l’argent tel le Veau d’or. On pense à Dickens, à Dumas, à un art du conte hérité des « Mille et une nuits ».

 

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