Girl
Edna O'Brien

traduit de l'anglais par Aude de Saint-Loup et Pierre-Emmanuel Dauzat PRIX FEMINA
Sabine Wespieser
litterature
septembre 2019
243 p.  21 €
ebook avec DRM 15,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

« Girl » de Edna O’Brien
est le coup de coeur de L’Arbre à Papillon à Phalsbourg
dans le q u o i  l i r e ? #80

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coup de coeur

Incroyable Edna O’Brien

Au fond, c’est toujours la même histoire : l’oppression des femmes par les hommes, mais aussi la force des femmes sur les hommes. Que ce soit en Irlande (« Filles de la campagne »), en Serbie (« Les petites chaises rouges »), au Nigéria (« Girl »), Edna O’Brien poursuit son combat pour la liberté et l’égalité, le même que celui de ses vingt ans. Elle ne cède jamais à la facilité, même malade retourne au combat, celui qu’elle mène depuis ses débuts avec l’écriture (et quelle écriture) comme arme.

Tout le monde se souvient de l’enlèvement de ces lycéennes, en 2014, par le groupe Boko Haram qui, au-delà de l’idéologie, voulait surtout des esclaves sexuelles, des bonnes à tout faire, et éventuellement des mères pour leurs enfants. Se glissant dans la peau d’une de ces adolescente kidnappées, elle raconte la violence, la douleur, la terreur, et le sentiment qu’il n’y a aucun espoir, pas de fuite possible, la sensation que tout le monde vous a oubliée… Pourtant, la narratrice réussira à s’évader avec son bébé, fruit d’un viol. Comment aimer une enfant qui, par sa présence, vous révèle l’horreur que vous avez subie ? Une enfant qui marque le signe de votre déshonneur, de votre complicité avec l’ennemi, vous fait devenir la honte de votre famille, celle-ci vous estimant souillée, et peu importe que vous n’ayez eu aucun autre choix.

Ce nouveau roman d’Edna O’Brien est tout simplement incroyable. Non seulement parce qu’il est écrit par une femme de plus de quatre-vingts ans, qui a déserté sa maison-bonbonnière à deux encâblures de Harrod’s, pour aller enquêter sur place. Mais aussi parce qu’elle n’a jamais failli, pas plus cette fois que les précédentes, n’a jamais été prise en défaut de paresse ou de facilité, parce que son talent est aussi puissant qu’au premier jour. Une sacrée femme et une sacrée romancière.

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Une pour toutes

276.
276 jeunes filles ont été enlevées par Boko Haram en avril 2014 .
276: ce n’est tout de même pas rien .
Et pourtant, bien peu a été fait dans l’objectif de les secourir . Elles ont pratiquement abandonnées à leur sort funeste .
276: Quantité négligeable .

Dans ce silence révoltant, Edna O’Brien, par l’entremise de son héroïne, offre un porte-voix au cri désespéré de ces jeunes filles. Une pour toutes.
Enlevée par Boko Haram, Maryam est ensevelie vivante dans la forêt, la boue, la putréfaction et l’insalubrité du camp morbide des insurgés de Boko Haram. Le lecteur passe avec elle les 70 premières pages du roman en apnée, sidéré par la rafale d’atrocités indicibles que Maryam doit subir, jusqu’à la déshumanisation. Mais, alors qu’elle parvient à s’enfuir, le plus difficile reste à venir. Dans son évasion, elle emporte avec elle Babby, le bébé qu’elle eu de son mariage forcé et qui, en fait de stigmate, se révélera in fine être sa dernière force de vie . Sa fuite désespérée à travers la forêt hostile à la recherche du chemin goudronnée qui la remmènera chez elle, dans le monde civilisé, est une épreuve terrible. Pourtant, son retour à la maison s’avérera être une désillusion cuisante, la dernière affliction.

Dans un Nigeria aux prises avec son traditionalisme rural où l’enfance n’est pas un rempart, il n’y a pas de victimes que « des filles du bush ».
Edna O’Brien, autrice transgressive et avant-gardiste, dont l’œuvre fait référence en matière de traitement des émotions des femmes et de leur relation problématique avec les hommes et la société, trouve ici un sujet à sa mesure. Après un travail de recherche fouillé et une enquête de terrain admirable pour une personne de presque 90 ans, elle nous livre un roman intense mais surtout courageux sur la condition des femmes au Nigéria.
Elle n’y dénonce pas tant les abominables atrocités commises par Boko Haram que l’ignominie et l’hypocrisie du pouvoir en place, renvoyant dos à dos ces deux mondes fondés sur le même endoctrinement à deux idéologies aussi radicales: l’illusion de l’occidentalisation ou celle de l’islamisme, les innocents au milieu . Elle dénonce audacieusement un Nigeria traditionaliste et corrompu sans compromis, sans complaisance, au-delà de la bien-pensance, parfois un peu trop loin. « Il y a quelque chose de pourri au Royaume du Danemark » prophétise le commandant de la caserne qui récupère Maryam à demi-vivante au terme de sa cavale dans la forêt.

Edna O’Brien traite son sujet à la manière de Dickens, l’écrivain des opprimés, faisant de Maryam un Oliver Twist nigérian dont l’enfance broyée, « J’étais une fille autrefois, c’est fini », devra subir l’implacable brutalité de la réalité, affronter l’infâme vilenie des hommes et ne pourra compter que sur la sororité pour sa rédemption avec la rencontre les deux figures maternelles que sont Madara et sœur Angelina.
Le texte est riche, dense et très construit, d’une beauté sophistiquée et percutante qui situe ce roman à la lisière de la littérature et du militantisme. Malgré quelques clichés frisant la caricature et en dépit d’un style au charme un peu suranné, ce roman se lit l’indignation au ventre.
A l’heure où l’oppression machiste persistant encore dans le monde occidental, est dénoncée massivement, ce combat pour l’égalité des sexes se révèle d’autant plus nécessaire qu’il sera l’étincelle du feu de la libération de la femme dans ces pays où elles sont toujours chosifiées.

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