Harriet
Elizabeth Jenkins

traduit par Christophe Mercier
Joëlle Losfeld
mai 2013
304 p.  24,50 €
ebook avec DRM 17,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

le calvaire d’Harriet

Comment choisit-on le sujet d’un roman ? A cette question, Elizabeth Jenkins évoquerait probablement le hasard, ce même hasard qui lui fait croiser au début des années 1930 le chemin d’Harriet Staunton, une jeune femme simple d’esprit à la destinée tragique, et dont le nom hanta l’Angleterre victorienne avant de sombrer dans l’oubli. L’histoire débute en 1875. Harriet et sa mère, Mrs Ogilvy, coulent des jours heureux dans leur propriété londonienne, à l’abri du besoin, malgré le tempérament difficile de la jeune femme et ses sautes d’humeur récurrentes. Comme chaque année, Harriet est envoyée chez une cousine désargentée, Mrs Hoppner, dont les charmantes filles, Elisabeth et Alice, jalousent la richesse et les belles tenues d’Harriet. Elisabeth vient d’épouser Patrick Oman, pendant qu’Alice nourrit une passion secrète pour le frère de ce dernier, Lewis, un ambitieux coureur de dots qui voit bientôt en Harriet une proie idéale. Avec beaucoup de tact et de patience, il parvient à monter la jeune femme contre sa mère, l’épouse, la séquestre dans un cottage et la maltraite, avec la complicité d’Alice, devenue sa maîtresse, de son frère et de sa belle-sœur. Les privations, la violence et les coups s’installent de manière insidieuse dans ce foyer où l’on feint de vivre comme si de rien n’était et où l’on tente d’effacer la présence de plus en plus compromettante de l’intruse et de l’enfant qu’elle a mis au monde, jusqu’à l’irrémédiable.

   Aussi dérangeant que ces reportages télévisés mettant en lumière un fait divers particulièrement sordide, ce récit fait de nous les spectateurs impuissants du calvaire d’Harriet, l’inconfort de cette position étant encore renforcé par l’absence d’images et le non-dit : en effet, l’auteure suggère bien plus qu’elle ne décrit par le menu détail les sévices infligés à la jeune femme, leur perversité n’éclatant au grand jour que lors du procès de ses bourreaux et à la lecture du réquisitoire. Cette attente se trouve accentuée par le style flegmatique, lancinant, de Jenkins et par l’adoption de différents points de vue lui permettant d’établir avec beaucoup de subtilité les profils psychologiques des protagonistes. Même s’il est difficile de s’attacher au personnage d’Harriet, cet être égoïste, capricieux et matérialiste, un basculement s’opère au cours du texte du tolérable vers ce qui ne l’est plus, dans le but d’asseoir la culpabilité des quatre complices, en laquelle croyait la romancière, mais qui avait été mise en doute à l’époque, et relativisée.

 

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