La Capitale
Robert Menasse

traduit de l'allemand par Olivier Mannoni
verdier
litt allemande
janvier 2019
438 p.  24 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Tragi-comédie européenne

Robert Menasse a choisi Bruxelles, siège de l’Union européenne, comme toile de fond de son dernier livre. Pas très séduisant ? Détrompez-vous, l’auteur autrichien tisse un roman brillant aux ramifications multiples, intrigues de couloirs, enquête policière et chasse au cochon fou. Fonctionnaires arrivistes, melting-pot forcé, groupes d’intérêt, laboratoires d’idées et retour aux sources de l’institution, il y aurait de quoi se perdre dans les méandres de ce microcosme bureaucrate, mais la virtuosité de l’auteur fait de ce roman une tragi-comédie très réussie.

Les couloirs de l’Europe

La plupart des personnages travaillent au sein du conseil de la culture, « département sans importance, sans budget, sans poids au sein de la Commission, sans influence et sans pouvoir ». Autant dire que nombre de ces fonctionnaires, comme la directrice de la communication, attendent en trépignant une mutation plus prestigieuse. Quoi qu’il en soit, celle-ci est chargée de préparer un événement commémoratif pour le jubilée de l’Union européenne, projet qu’elle confie à ses collaborateurs qui décident de mettre en avant Auschwitz et la mémoire, ce qui n’est pas du goût de tous. Ajoutons une réunion d’experts dépourvus d’autorité sur les maux du nationalisme, parallèlement à la signature de traités économiques concurrents : jamais le concept de nation ne s’est davantage opposé à celui d’union. Pour faire le lien, un vieux professeur solitaire échappé des camps de la mort finit dans une résidence pour seniors où la collectivité et l’infantilisation le privent de sa liberté. Enfin, alors qu’un mystérieux assassinat semble couvert par les services secrets, pour couronner le tout, un cochon erre dans la ville et devient la vedette des réseaux sociaux.

Voici un tableau satirique de la belle idée d’Europe initiée à la fin de la dernière guerre. Dans un chassé-croisé permanent, les personnages sont à l’image de l’institution, dépressifs, impuissants, perdus dans un quartier européen à l’urbanisation hasardeuse et mouvante. Même les cimetières où l’on se croise dans des déambulations esseulées et mélancoliques, semblent gagnés par la dégradation environnante. Entre vision globale et intérêt personnel, bien commun et paralysie structurelle, Robert Menasse, s’inspirant de Kafka et du surréalisme, critique une Europe aux coutures qui craquent et menace de partir en lambeaux.

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