La dernière page
Gazmend Kapllani

Intervalles
mai 2015
155 p.  15 €
 
 
 
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Un grand merci à Lecteurs.com et à son club des explorateurs qui porte très bien son nom car il m’a permis de faire de belles découvertes. Celle d’une maison d’éditions « Intervalles » , celle d’un auteur grec , journaliste Gazmend Kapplani mais aussi la découverte d’un pan de notre histoire et d’un pays méconnu pour moi : l’Albanie.

Ce n’est certes pas un voyage joyeux auquel je vous convie, mais un voyage intéressant, riche, empreint de détermination et d’humanité.

Melsi est journaliste, écrivain albanais vivant en Grèce depuis vingt ans. Nous sommes en 2011 et il rentre à Tirana car son père vient de mourir lors d’un voyage à Shanghai.

Mais que faisait-il à Shanghai ?

Le temps des démarches de rapatriement qui dureront vingt-deux jours, Melsi se retrouve dans l’appartement de son père qu’il avait quitté il y a si longtemps.

Mais qui était réellement son père ?

C’était un amoureux des livres et des langues. Par le passé, il fut responsable de la section des livres interdits à la bibliothèque de Tirana. La littérature, ce qui les réunissait en somme.

Melsi trouve un cahier marron et en commence la lecture, il pense à un roman écrit par son père et très vite il a un choc, une révélation, il comprend que c’est son histoire, celle de la vie de son père. Et petit à petit tout s’éclaire. Il comprendra quelle fut réellement la vie de son père.

J’ai aimé, grâce à ce roman, découvrir l’histoire d’un pays que je ne connaissais pas : l’Albanie. Il m’a donné envie de me documenter et d’en savoir plus sur ce peuple dominé tour à tour par l’empire ottoman, les beys, ensuite les soldats de Mussolini, les allemands et la longue période de domination du communisme et de son leader Enver HODJA.

J’ai découvert le calvaire et les renoncements de ce peuple. Ce roman est pessimiste et noir mais lucide, sa lecture m’a un peu fait penser à « Purge » de Sofi Oksannen et la peur du peuple estonien.
On y ressent les craintes des gens, l’emprise du régime, le manque de liberté.

Ce roman nous parle également du sort des juifs de Thessalonique, de son massacre en 1939 et de la fuite de nombreux juifs grecs devenant des « crypto-juif », un peuple qui renonce à sa religion, son identité pour vivre enfin (il garde une adhérence secrète au judaïsme ou est descendant juif et manifeste une autre foi).

C’est un livre sur le renoncement, sur la détermination de l’Homme, pour trouver une apparente liberté et vivre tout simplement, ce grâce aux livres et aux langues. Un récit qui montre comment l’homme peut se construire une identité au delà des frontières et de ses convictions. J’ai aimé l’histoire avec un petit et un grand H dans ce récit. Ce témoignage paternel qui dévoilera le passé, les racines de Melsi et lui rendra une pleine identité.

Ce petit roman de 160 pages est très dense et m’a donné l’envie de me documenter sur le sujet. La plume incisive, directe, tout en nuances de Gazmend Kapllani m’a captivée. Le style de l’auteur m’a propulsée dans une lecture rapide remplie d’humanité.

Une très belle découverte que je vous invite à faire au plus vite. Merci encore pour cette lecture qui sort des sentiers battus.

Ma note : 8.5/10

Les jolies phrases

Peut-être la qualité essentielle de son père – ou son défaut, se dit Melsi – résidait-elle dans sa capacité à amortir les coups du sort, à transformer un inconvénient en avantage, une sanction en source de créativité.

Pour Melsi, le grec était une grande dame qui, après avoir voyagé dans le monde entier, avait perdu tout son éclat, alors que l’albanais était un montagnard indomptable, un peu cinglé et terriblement rétrograde, passé maître dans l’art de la survie.

Un voile de peur et de gêne recouvrait toute cette histoire qui, avec le temps, était presque devenue banale parce que dans ce pays, le seul moyen de résister au poids des événements qu’on redoute et qui peuvent à tout moment briser quelqu’un, c’est de les prendre tels qu’ils viennent, sans creuser d’avantage.

Dans un pays où l’on dégaine plus facilement de sa poche un pistolet qu’un bloc-notes, les gens qui lisent et écrivent dans les lieux publics éveillent la curiosité ou les soupçons.

La plupart des Grecs se représentaient en effet ce pays comme un trou noir. S’il existait un pays au monde auquel la Grèce ne voulait absolument pas être comparée, c’était bien l’Albanie. Mais pour leur plus grande malchance et par une réelle ironie du sort les Albanais ressemblaient à leurs voisins au-delà de ce qu’un Grec pouvait supporter.

La joie des enfants face à son chagrin lui permit de découvrir dès cette époque que le bonheur des uns se nourrit souvent du malheur des autres.

C’est une jeune chinoise que le hasard mit sur sa route et qui fit découvrir à Isa qu’il ne suffit pas de se sentir heureux avec une femme pour ne pas en désirer ni aimer une autre.

De leur départ, le crypto-juif savait très peu de choses, si ce n’est ce qu’il avait appris plus tard, par bribes de la bouche de sa mère, et ce qui avait résisté à sa volonté farouche de gommer son passé et à sa crainte de le revoir resurgir.

Quand elle parlait, ses mots avaient la légèreté d’un flocon de neige en train de fondre. Elle était l’une des rares jeunes filles vraiment émancipées pour l’époque, et plus rares encore étaient les garçons qui osaient alors se marier par amour.

Il revoyait en pensée la scène où son père décide de retourner voir l’Enquêteur : une tentation masochiste qui conduit inexorablement la victime à vouloir se mesurer à son bourreau, sachant d’avance qu’elle s’expose à une défaite écrasante. Une réaction comparable à celle du joueur qui s’obstine à miser désespérément.

C’est dans cette pièce qu’il prit clairement conscience d’avoir traîné toute sa vie un sentiment de culpabilité. Pourquoi et comment peut-on se sentir coupable quand on ne l’est pas ? Il sentit la peur le submerger.

Un silence au téléphone est la pire des choses, on ne sait jamais comment le briser.

Comment peut-on à ce point aimer les animaux et haïr les êtres humains ? Il lui rappela qu’en tant que vétérinaire, elle n’avait aucune raison de faire confiance à tous ceux qui aimaient les chiens; il suffisait de faire confiance aux chiens eux-mêmes.

Les abeilles et le miel qu’elle produisaient étaient son antidote à la réalité empoisonnée qui le cernait de toute part.

Le pays ressemblait alors à un homme éventré dont les tripes à l’air dégagent une puanteur terrible.

Telle une balle dans le canon d’une arme, la tentation du suicide était aussi venue se nicher dans son cerveau. Mais il ne trouva jamais le courage d’appuyer sur cette gâchette imaginaire. Même humilié, il aimait encore la vie. Et cet amour de la vie l’amenait à accumuler humiliation sur humiliation.

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