La Diligence rouge
Gyula Krudy

Circé
octobre 2014
230 p.  18,50 €
 
 
 
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coup de coeur

Du côté de Pest.

Gyula Krudy (1878-1933) est l’un des écrivains hongrois les plus importants du siècle dernier. Souvent comparé à Proust pour sa prose sensible, il raconte dans « La Diligence rouge » les aventures de deux cocottes venues tenter leur chance à Budapest, alors seconde capitale de l’Autriche-Hongrie.

En ce début de XXème siècle, Klara et Szilvia, respectivement tragédienne et chanteuse d’opérette, s’installent à Budapest. Après les planches des théâtres de province, elles aspirent désormais à la gloire et au grand amour. En attendant leur heure, elles flânent sur les grands boulevards, lancent des quolibets aux autres promeneurs, reprisent elles-mêmes leurs dessous et s’ennuient ferme dans la vieille maison qu’elles louent dans un quartier modeste de Pest. Les deux amies se mêlent à la bohème hongroise qui parade dans les théâtres et les auberges de la ville, où erre le mystérieux comte Alvinczi, jeune oisif nostalgique de sa prestigieuse ascendance tatare, et qui vit toujours dans ses fantasmes de grandeur perdue. Seul le journaliste Kazmer Rezeda, incurable mélancolique au cœur pur, échappe à la férocité du tableau, mais vit par procuration, se prenant pour un héros de roman russe qui s’est trompé de siècle en se consumant d’amour pour Klara dans son garni. De l’autre côté du Danube, à Buda la prospère, on pénètre dans le salon de Madame Louise, inspirée d’une George Sand à la respectabilité acquise contre espèces sonnantes et trébuchantes, et dont l’appartement est le lieu de rendez-vous des pique-assiettes et des noceurs. Klara et Szilvia sont gagnées par le désenchantement qui règne à l’aube du siècle balbutiant, dont le vernis romantique s’écaille peu à peu. En réalité, les actrices finissent souvent dans les maisons closes, tandis que les princes s’évaporent dans les faubourgs obscurs. Madame Urbanovitch, la tante avisée et terrienne de Szilvia l’a bien compris, qui regagne sa province croate, écœurée par les mœurs de la grande ville où l’aristocratie étrangère vient s’encanailler à peu de frais, et où le divertissement même fait bâiller.

« La Diligence rouge » dépeint avec brio la fin de l’empire qui se délite et les attraits que la capitale exerce éternellement sur les provinciaux naïfs qui vivotent du mauvais côté du pont, où le diable exige son droit de passage. Krudy possède un talent de conteur exceptionnel, au ton parfois balzacien dans ses portraits de parasites et de rêveurs inadaptés au réel désormais acquis à l’argent. Le tragi-comique côtoie le prosaïsme, et le réalisme pousse les vieux héros hors de la nouvelle scène, où les arrivistes de tout bord attendent de tirer leur épingle du jeu.

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