La vie magnifique de Frank Dragon: premier roman
Stéphane Arfi

Grasset
janvier 2017
272 p.  19 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

L’invention d’une langue !

Un roman qui invente une langue, à défaut un langage, cela ne court pas les rayons des librairies. C’est pourtant la prouesse de ce premier roman (??!) de Stéphane Arfi qui signe là un livre étrangement puissant, très maîtrisé, à la fois très simple et très complexe, qui puise à la fois dans l’intime de l’enfance et dans la grande histoire que nous connaissons tous. Nous en sommes à Paris, en 1939, dans le quartier du Marais. Des parents, ceux de Frank Dragon, 6 ans tout juste, vont être raflés par la Police Française, ouvrant ainsi la lugubre opération de déportation vers Drancy puis Auschwitz, voulue par les Nazis autant que par le régime de Pétain. Le petit Frank Dragon parvient à être caché par les voisines de l’immeuble, puis par une rude et bonne grand-mère en Province, une Juste. Histoire connue, déjà racontée maintes fois et pourtant, pourtant ! Tout ici change de perspective, par la seule magie du verbe. Le petit Frank, qui ne parle pas, raconte ce qu’il voit, ce qu’il sent, ce qu’il comprend de cette guerre qui s’empare des âmes et des corps et sème la mort autour de lui. Il voit avec ses yeux d’enfant et la réalité en est toute chamboulée car ses mots ne sont des mots usuels. Porté par une poésie de chaque instant, l’auteur nous promène dans un périple initiatique fascinant, souvent terrible, souvent drôle, souvent obscur, toujours lumineux. Il y a de l’amour, celui du garçon pour sa Béata, princesse juive vêtue comme une reine, de l’amitié, celle de Sauveur Léglise (quel nom !) qui le sauve et se sauve. Il y a le récit halluciné, presque délirant, que fait le père de Frank au sortir des camps de concentration et il y a des rencontres, attendues ou improbables (comme celle avec Inigo, qui l’initie à la lecture des Évangiles, puis avec le Dr Destouches, alias Céline, qui soigne le jeune héros à Meudon). Il y a tant de choses, tant d’inventivité dans ce roman dans lequel on entre avec difficulté (comme un prix à payer ?) et duquel on ne veut plus sortir car il mène vers la lumière et la résurrection. C’est un livre inoubliable, une forêt de mots qui impose des moments de pause pour méditer, réfléchir. Puis y retourner pour savoir où va Frank. On y parle à la toute fin de Dieu et on sort de là étonné, sidéré que cette littérature-là existe encore. Un coup de coeur absolu pour cette Vie magnifique de Frank Dragon a qui l’on remercie d’exister pour toujours.

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