Lake success
Gary Shteyngart

l'olivier
janvier 2020
381 p.  24 €
ebook avec DRM 16,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

« Lake success » de Gary Shteyngart
est le coup de coeur de Tropismes à Bruxelles
dans le q u o i  l i r e ? #97

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coup de coeur

Il en a marre … de tout ou à peu près : marre de Seema, sa très belle femme d’origine indienne qui bat des cils devant le voisin écrivain, marre de son fils autiste, Shiva, qui hurle et se débat chaque fois qu’il tente de l’approcher, marre d’être poursuivi par la justice pour délit d’initié, marre enfin de voir sa vie se dérouler sans qu’il y participe vraiment…
Alors, une nuit, après une soirée bien arrosée, Barry Cohen, l’homme aux 2,4 milliards de dollars d’actifs sous gestion, laisse tout en plan, remplit son sac de sa collection de montres prestigieuses et saute dans le premier car Greyhound qui se présente en direction du Sud-Est : Baltimore, Richmond, Atlanta, Jackson, El Paso…
Voyager en Greyhound… Tout un programme qui ne manque pas de pittoresque pour notre richissime propriétaire d’un appartement luxueux à Manhattan : côtoyer la populace et ses odeurs de transpiration, d’urine, de hamburger, de bière, risquer de se faire piquer sa valise, sa carte bleue, son portable, crever de chaud ou de froid, avoir mal au dos, aux jambes, au cou… Il va falloir s’accrocher… Mais si c’est pour changer de vie, à 43 ans, ça vaut le coup… Faut foncer, découvrir des gens, des vrais, des Américains à qui on ne parle pas, voir un monde dont on ne soupçonnait même pas l’existence, vivre autre chose, de plus authentique, de plus fort et peut-être, si la chance est du bon côté, retrouver Layla, son amour de jeunesse… Peut-être sera-t-elle, elle aussi, prête à se lancer dans une nouvelle vie… Et s’ils trouvaient le bonheur, ensemble ? Et si, pour couronner le tout, Trump n’était pas élu ?
Il y a du Woody Allen dans ce Barry Cohen : plein aux as, mal dans sa peau, complètement schizophrène (avec deux belles obsessions à son actif : les montres ultracoûteuses et l’image d’une famille idéale incarnée par trois enfants se brossant les dents devant trois lavabos Duravit et « s’éclaboussant les uns les autres dans la félicité »), vivant plus ou moins bien son judaïsme, sa sexualité, sa famille, traumatisé par un père « nazi modéré » et nettoyeur de piscines (sans en avoir une lui-même…)
Il est souvent pitoyable de naïveté ce pauvre Barry, complètement décalé, bien déjanté, insupportable de médiocrité, de prétention, d’amour-propre et si faible, si touchant, si attachant… Ce petit road-trip en Greyhound semble lui faire découvrir le monde, the true life, l’Amérique : un Mexicain borgne, un jeune dealer, une belle noire aux cheveux blonds… Une Amérique des pauvres, des loosers, des marginaux…
Franchement, ce roman drôle, loufoque et, dans le fond, bien désespéré est vraiment irrésistible et nous apprend beaucoup sur un peuple de laissés-pour-compte usés jusqu’à la corde et qui a voté Trump pour se faire entendre.
Oui, Lake Success est certainement le grand roman américain de ce début d’année…
Je recommande !
(Et que je vous dise, entre nous, je me suis lancée dans le plat indien de la famille de Seema: le SAMBAR (ragoût d’okras, d’échalotes, de pois mung, cannelle, curcuma, tamarin (pas encore trouvé celui-là !), piments… Un délice…)

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L’Amérique en Trump l’oeil

Barry Cohen est un homme qui fuit. On le rencontre au début du roman, le visage marqué, griffé, saignant, victime de sa femme et de la nounou qu’il emploie. Pourquoi? Comment? Qu’est ce qu’il fait à à vouloir embarquer dans un Greyhound, cette ligne de bus célébrissime aux Etats Unis, qui doit l’emmener ailleurs, loin de ses fonds spéculatifs dont il s’occupait, loin de son argent roi (l’homme pèse 2,4 milliards) mais pas loin de ses montres, qu’il pris soin d’embarquer dans une valise?
Barry est fan de montres, de montres de luxe, bien évidemment, dont le montant rend précieux, ou totalement accessoire, le temps qu’elles sont censées marquer.
Barry fuit sa vie, son enfant autiste, son couple, pour se coltiner l’Amérique, celle qui, à ce moment là, est en train de choisir un successeur à Obamah.
Sa première halte le téléporte à Baltimore, sur les lieux de tournage de « the wire » série culte de David Simons, sur les dealers qui se partagent les quartiers pauvres d’une ville pauvre déjà. Barry sortira de ces trottoirs avec dans la poche un caillou de crack. Et ce n’est que le début de son odyssée qui le montrera, petit à petit, se dévêtir de son costume de mouvementeur de gros fonds pour découvrir sa propre peau, et celle de son pays par là même.
Parce que, le choix se précisant, il découvre, comme d’autre, stupéfait, que la « grande Amérique » est finalement toute prête à accorder sa confiance à celui qui attrape par la chatte les femmes, se fout de la gueule des handicapés, veut emprisonner les mexicains, ce gros type ultra vulgaire, qui a beau s’échiner à montrer ses plus bas côtés, rien n’y fait, les votes s’affinent, et son élection se fait soudain « très probable ».
L’ex trader Barry Cohen n’y comprend rien. Comment, se dit-il peut-on tomber si bas, passer ainsi d’une forme de progressisme inouï à une sorte de beauferie sans équivalent? Ou le contraire?
En prenant le bus. Celui avec le lévrier.
Un animal qui court après un leurre qu’il n’attrapera jamais.

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