critique de "Le chemin", dernier livre de Miguel Delibes - onlalu
   
 
 
 
 

Le chemin
Miguel Delibes

Verdier
janvier 1959
192 p.  15,72 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

L’enfance perdue

Tout le monde va se précipiter, en cette période de rentrée, sur les « nouveautés » dont la publicité va bon train ou sur les « habitués » qui pondent avec une régularité confondante leur bouquin de l’année – il peut arriver que quelques remugles négationnistes viennent entourer un auteur « bien sous tout rapport. » et le bruit du scandale fera monter les ventes. Laissons .
Le livre dont je recommande la lecture ne date pas d’aujourd’hui. Le Chemin de Miguel Delibes est sorti en 1950. Sa traduction est parue chez Gallimard en 1959. Une nouvelle traduction , aux éditions Verdier, date de 2010 ; elle est de Rudy Chaulet, il faut le signaler parce que l’on oublie trop souvent le travail magnifique que réalisent de si nombreux traducteurs. Delibes est sans conteste un des grands écrivains espagnols contemporains – enraciné dans cette Castille pétrie de traditions qui peine à entrer dans ce que l’on appelle la modernité. Delibes évoque dans ses livres les contradictions de ce monde. Il le fait avec pudeur, retenue, et une nostalgie non dépourvue d’humour. Il sait allier la précision du journaliste qu’il a été avec l’oeil du cinéaste qui sait donner de vastes images des paysages qui entourent ses personnages.
Dans Le Chemin, le personnage principal est un petit garçon d’une dizaine d’années que son père décide d’envoyer poursuivre des études à la ville voisine pour qu’il devienne quelqu’un. Daniel dit le Hibou n’a aucune envie de quitter son village et ses amis qui sont affublés de surnoms aussi peu gratifiants que le sien, Le Bouseux, une force de la nature, Le Teigneux, l’amoureux des oiseaux. Et avant de partir, il évoque ce qui a été jusque là sa vie, entouré de personnages pittoresques – les vieilles filles qu’on appelle les Guigne, le curé qui est un saint homme, l’instituteur, le Pion, et sa gueule de travers, le forgeron qui ne croit pas en Dieu, Quino le Manchot – toute une galerie de portraits dessinés par un enfant qui n’a pas les yeux dans sa poche et qui restitue les drames et les ridicules de cette petite communauté villageoise qui vit presque en dehors du monde. Daniel et ses amis font les bêtises des gamins de leur âge, courent les bois et jouent dans la rivière, découvrent les mystères de la vie et de la sexualité. Daniel est amoureux de la Mica, cette blonde apparition qui l’a surpris quand il volait des pommes dans le jardin de son père, l’homme du village qui a fait fortune en Amérique du Sud ; qu’elle ait huit ans de plus que lui ne l’effarouche pas et il reste aveugle à la touchante sollicitude de Uca-uca qui a presque son âge.
Le Chemin est un roman d’enfance comme il en existe un petit nombre qui enchante longtemps leurs lecteurs – Les enfants pillards de Jean Cayrol, L’élève Gilles d’André Lafon, pour ne citer qu’eux. Tous ont en commun de nous donner une vision peu conventionnelle de l’enfance et de la difficulté qu’il y a à grandir. L’originalité de Delibes est d’inscrire son héros dans un cadre à la fois sociologique et naturel que menace le risque de disparaître. Daniel le Hibou reviendra-t-il jamais dans ce village qu’il aime tant ? Y retrouvera-t-il ceux qu’il a aimés ? La mort est là, présente, dont il prend conscience lors du drame qui clôt le livre.
L’écriture de Miguel Delibes est un miracle de poésie et de drôlerie.

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