Le pèlerinage
Osamu Hashimoto

Traduit par Patrick Honnoré
ACTES SUD
Avril 2013
288 p.  22,80 €
ebook avec DRM 16,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Nostalgie japonaise

Cela démarre comme une sorte de Desperates housewives japonais, dans une banlieue résidentielle proprette, avec ses villas alignées et ses petits jardins. Mme Yoshida et sa jeune voisine Tomiko Yajima sont au bord de la crise de nerfs car au bout de leur rue, un étrange vieux monsieur a transformé sa maison, une bicoque qui date d’avant la construction des villas, en un véritable dépotoir. Inlassablement, il ramène chez lui et entasse dans son jardin des montagnes d’immondices de toutes sortes, sacs poubelles répugnants et objets de rebut. L’odeur devient insoutenable. Mais ce matin, Mme Yoshida et Tomiko sont en ébullition : une équipe de télé vient faire un reportage sur le sujet.

Comme souvent dans le roman japonais d’aujourd’hui, on ne sait tout d’abord pas très bien où on va avec ce livre et l’auteur, après tout, aurait pu en rester là. Le pèlerinage pourrait n’être qu’une chronique cocasse de femmes au foyer s’ennuyant dans leur banlieue verte, furieuses après ce voisin qui gâche bêtement leurs rêves de standing. Mais Osamu Hashimoto nous entraîne bien plus loin.

La grand-mère Tamura, qui est venue habiter le quartier il y a des années, au tout début de la construction du lotissement, se souvient soudain que, lorsqu’elle est arrivée, le ramasseur d’ordures compulsif était un tout jeune homme, le fils aîné de la famille Shimoyama, des presque notables qui tenaient la quincaillerie.

Ainsi, sans qu’il y prenne garde, le lecteur se retrouve plongé dans cet autre temps, lorsque le quartier n’était qu’une bourgade rurale très éloignée de la grande ville. De la fin de la guerre à aujourd’hui en passant par les années soixante, l’évolution de la société japonaise est ainsi dévoilée, à travers l’exemple de cette famille de quincaillers. Alors qu’ils vendaient des ustensiles de cuisine et des outils agricoles, les familles qui sont venues s’installer là, appartenant toutes à une classe moyenne moderne et standardisée, consommaient tout à fait autre chose. La ville a dévoré la campagne, bousculant traditions et modes de vie, brisant ceux qui n’ont pas su s’adapter. Avant, un jeune homme comme il faut se devait de dormir dans l’arrière-boutique de son employeur et attendre que celui-ci lui choisisse une épouse convenable. Avant, la vie était toute tracée et sans surprises. Avant, un objet vendu à la quincaillerie pouvait durer très longtemps.

Alors, peu à peu, on comprend pourquoi le malheureux Monsieur Shimoyama s’est mis à ramasser, et à garder précieusement, tout ce que les autres jettent sans y penser.

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