Le Ravissement des Innocents
Taiye Selasi

Traduit par Sylvie Schneiter
Gallimard
septembre 2014
384 p.  8,50 €
ebook avec DRM 8,49 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Afropolitan family

C’est à croire que toutes les bonnes fées se sont penchées sur le berceau de Taiye Selasi. D’origine ghano-nigérienne, née à Londres, elle a grandi à Boston et a pour parrains en littérature Toni Morrison et Salman Rushdie. Elle a été sélectionnée l’année dernière par la prestigieuse revue Granta parmi les vingt meilleurs jeunes romanciers britanniques. La beauté de son écriture n’a d’égale que sa propre beauté, digne d’une princesse des légendes africaines. Son histoire familiale est au plus haut point romanesque et elle avoue s’en être fortement inspirée pour écrire ce premier roman époustouflant, d’ores et déjà traduit dans treize pays.

« Le ravissement des innocents » s’ouvre au Ghana sur la mort subite, suite à une crise cardiaque, d’un homme d’une soixantaine d’années, Kweku Sai. C’est la disparition sans retour possible d’un disparu, celle d’un père dont l’absence a remplacé son existence auprès des siens.
Vingt ans auparavant Kweku, brillant chirurgien ghanéen émigré aux États-Unis, a abandonné brutalement son épouse et ses quatre enfants : Onlu son fils aîné alors adolescent; ses jumeaux, la splendide Taiwo (qui doit beaucoup à l’auteur, elle-même jumelle) et Kehindé l’artiste; la petite dernière de 4 ans Sadie. C’est après avoir été accusé à tort d’une erreur médicale fatale sur une riche et puissante patiente, que la honte et l’humiliation ne lui ont pas laissé d’autre choix que la fuite. Folà sa femme est anéantie, mais va affronter ce gouffre en tentant d’élever seule sa progéniture dans les idéaux d’exigence et d’accomplissement qui sont les siens. Déracinée, abandonnée, cette perpétuelle émigrée ne désarme jamais, ses enfants non plus. Construits avec de l’amour, mais sur des lésions si profondes qu’elles ne cicatrisent pas, la fratrie aujourd’hui éclatée se retrouve autour de leur mère pour les funérailles de leur père et pour revisiter une histoire d’amour et de chagrins.

Ce premier roman au style flamboyant, mais jamais « sur-écrit », est tout simplement splendide. Il offre dans une forme romanesque ambitieuse, une réflexion de fond sur les accords silencieux que l’on passe au sein d’une famille pour ne pas approfondir ce qui fait souffrir. Il est bien souvent à couper le souffle et les jambes, tant Taiye Selasi parvient par sa langue à ouvrir les brèches des silences. Le passage de l’insupportable épreuve des jumeaux persécutés par leur oncle à Lagos est un véritable coup à l’estomac pour le lecteur. Ibeji en nigérien signifie « jumeaux qui apportent chance et fortune ». Et bien, souhaitons que ce premier roman apporte chance et fortune à la stupéfiante Taiye Selasi.

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