Le silence des rails
Franck Balandier

Flammarion
f?vrier 2014
211 p.  12 €
ebook avec DRM 8,49 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Le bouleversant hiver des triangles roses

Sur la Seconde Guerre mondiale, on pense avoir tout lu. En cette année de commémorations de la Première, paraît ce roman qui retrace le parcours d’Etienne Lotaal, né en 1918, déporté en 1942. Une fiction, donc. Précise et documentée. Dans laquelle suintent les atrocités bien réelles.

Etienne nomme « inversion » la prise de conscience de son homosexualité. Une inversion définitive. Qui lui vaut d’être envoyé à Fresnes puis déporté dans les Vosges alsaciennes annexées par le Reich. Les rails qui se sont tus avec la fin de la Grande Guerre se remettent à crier. Etienne est détenu au camp de Natzweiler-Struthof, construit sur une piste de ski. Matricule 19852 tatoué à l’encre bleue. Ce serait un décor de conte d’Andersen si ce n’était L’Enfer de Dante. Un paysage de neige et de glace, de sapins blancs. Un éternel hiver. Dans ce « parc d’attractions d’un genre nouveau », les hommes sont des couleurs. Plus grand que l’étoile jaune, le triangle rose identifie les inutiles à la race. Et c’est là l’originalité du roman : braquer la lumière sur ces sorcières parmi les sorcières de l’époque.

Franck Balandier a construit son roman comme une messe. Génuflexion, élévation, consécration, bénédiction. Son narrateur écrit à Dieu. Qui ne daigne pas lui répondre. Plus aucun signe. La foi s’étiole peu à peu. La messe pourtant sera dite. Tout cela va finir. On le sait. Mais sera-ce un deuil ou une victoire ? Une victoire sur la peur, peut-être. Une si maigre victoire.

Une victoire sur l’oubli, en tout cas. Autrement plus importante. Car Le Silence des rails réussit le pari du devoir de mémoire et de l’actualité. Il interroge sur la place des homosexuels en temps de guerre. Leur rôle dans la société. Qui dérange, mais dont l’oppresseur a su s’arranger à sa façon. Lui aussi a besoin de contacts. D’échanges. Ne serait-ce que le temps d’un rapport sexuel. Ou d’une cigarette. La guerre n’est parfois qu’une grande illusion. La fumée, elle, peut s’échapper sans crainte. Le temps n’existe plus pendant la combustion. Mais les bouffées de liberté coûtent cher. Le Silence des rails est un concentré d’histoire et d’humanité. Bouleversant et inoubliable.

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