Le turbulent destin de Jacob Obertin
Catalin Dorian Florescu

Traduit par Barbara Fontaine
Seuil
février 2013
378 p.  22 €
ebook avec DRM 15,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Quelle épopée !

Non. On ne vous racontera pas pourquoi dans un petit village du Banat, en Roumanie, le pope garde des os dans sa cave et passe ses journées à reconstituer des squelettes. Pas plus qu’on ne vous dira pourquoi Jacob Obertin a eu deux naissances, ni pourquoi son ancêtre, Caspar, a choisi de transformer le début de son nom de famille, ni comment Jakob avec un « k », le père de Jacob avec un « c », s’est débrouillé pour épouser la fille Obertin et porter son nom prestigieux. Non, on ne vous racontera pas les légendes de Ramina, dernière survivante de la colline aux Tziganes jusqu’à ce que les nazis passent dans le coin. On ne vous racontera pas non plus l’histoire de la jolie Katica, que Jacob ne pouvait pas épouser parce qu’elle était serbe et lui souabe. Enfin, pas tout à fait souabe. Plutôt un descendant d’immigrés lorrains qui se faisaient passer pour des Souabes, ce qu’il lui attire d’ailleurs quelques problèmes à l’arrivée des troupes soviétiques dans la région. Non, on ne vous dira rien de tout cela, parce qu’on ne saura jamais raconter aussi bien que Catalin Dorian Florescu.

L’auteur est né à Timisoara en 1968 et sa famille a fui la Roumanie en 1982. Depuis, il vit à Zurich et c’est en allemand qu’il a écrit cette extraordinaire épopée. En près de quatre cents pages, Catalin Dorian Florescu retrace tambour battant le destin d’une famille qui n’a d’identité que dans la migration, et dresse le portrait d’une région constituée d’une mosaïque de populations qui cohabitent dans un équilibre précaire mais, malmenées par l’Histoire, peuvent en arriver à se détester, se dénoncer, s’entretuer. Au centre de tout cela : l’histoire des roumains germanophones.

De la Lorraine à la Roumanie, depuis la guerre de Trente ans jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, le lecteur n’a pas une minute de répit, plongé dans cette hallucinante fresque peuplée de personnages hauts en couleurs, bandits de grands chemins ou paysans, petites gens que l’auteur sort de l’anonymat pour se faire le scribe de leurs incroyable destinée. On est tour à tour dans la légende, le conte, l’épopée ou le récit historique, qu’importe. Il faut bien ce mélange des genres pour approcher au plus près l’invraisemblable -parce qu’il ne fait pas partie de l’histoire officielle- l’invraisemblable quotidien de cette population. Drôle et folklorique, certes, le roman peut aussi être poignant, à cause des horreurs de la guerre bien sûr, mais aussi parce qu’il ne cache pas la dureté de ces gens dont l’ingéniosité nécessaire à la survie peut parfois se transformer en violence inhumaine, quand le père est prêt à trahir son propre fils.

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