Les adieux pour Débutant
Anne Tyler

Traduit de l'anglais (États-Unis) par Sylvie Schneiter
Stock
janvier 2014
224 p.  19 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

L’extraordinaire d’une vie ordinaire

Aaron n’a jamais cru aux fantômes. Les morts reviendraient sur terre, mais d’où ? Pourtant, lorsque quelques temps après sa mort, sa femme Dorothy lui apparaît et se met tranquillement à marcher à ses côtés, il accueille sa présence avec naturel, pénétré d’un « bonheur ineffable au fond de l’âme. » C’est avec Dorothy, et elle seule, qu’il veut affronter le chagrin. Un chagrin dont il n’a aucune expérience et contre lequel, il n’a pas le mode d’emploi. Aaron ne veut pas de l’attention de ses collègues, est embarrassé par l’empressement de sa sœur à remettre de l’ordre dans sa vie. Il pressent que, pour elle, la mort de Dorothy ne mérite sans doute pas un tel abattement. Estropié de la jambe et du pied droits depuis l’enfance, choyé par ses proches, il a toujours eu l’impression d’être comme les autres et il n’a jamais su faire avec la sollicitude. Dans ces circonstances plus que jamais, il préfèrerait que les autres se conduisent normalement autour de lui. L’ironie lui sert de bouclier, mais la vie n’est-elle pas ironique ? La poitrine de Dorothy a été défoncée par le poste de télévision, serait-elle toujours en vie s’ils avaient acheté un écran plat comme ils l’avaient projeté? Et si elle avait trouvé ses crackers exactement où elle les avait laissés ?

Les jours passent, tout lui rappelle Dorothy. La vue de deux silhouettes marchant côte à côte, lui transperce le cœur, le transporte aux tout débuts de leur relation, à la singularité de leur histoire, de la personnalité de sa femme. L’a-t-il parfaitement connue ? Lui a-t-il dit ce qu’il aurait dû lui dire ? « Ils surmontaient les accrocs, passaient dessus et leur vie commune suivait son cours. » Les accrocs, Aaron cherche à les réparer, à l’infini, pour tisser une toile à laquelle se raccrocher. Il voit Dorothy « tellement fidèle à elle-même, tellement normale, disgracieuse, quelconque, le regardant droit dans les yeux, une pellicule de sueur au dessus de sa lèvre supérieure, ses gros bras serrant sa sacoche sur son ventre. » Elle est là et pourtant, « il est trop tard pour te décrire ce que j’endure, » lui dit-elle. Elle s’échappe. Cette disparition, Anne Tyler la saisit au vol, avec fantaisie, nous plongeant dans l’extraordinaire d’une vie ordinaire.

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