Les aventures de Ruben Jablonski
Edgar Hilsenrath

traduit de l'allemand par Chantal Philippe
Le Tripode
septembre 2017
266 p.  19 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Respirer, vivre, écrire

Edgar Hilsenrath est l’un des plus grands auteurs juifs allemands contemporains. Son œuvre, longtemps jugée impubliable et choquante, fait aujourd’hui l’objet d’une redécouverte en France grâce à un formidable travail d’édition. Voici un roman d’apprentissage autobiographique en forme d’odyssée, porté par un désir de vivre et d’écrire à tout prix.

Une jeunesse en fuite

Avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir, la situation des Jablonski, une famille juive allemande, devient intenable. Tandis que le père se rend en France avec l’espoir d’obtenir des visas pour les Etats-Unis, la mère et les deux fils se réfugient chez des parents de Bucovine, en territoire roumain. Après quelques mois de paix, tous sont déportés vers le ghetto de Moguilev-Podolski, une ville ukrainienne en ruines où ils survivent miraculeusement pendant cinq années à la faim, au froid et aux épidémies. Après leur libération en 1944, l’Europe est en ruines, et Ruben décide, comme nombre de Juifs survivants, de partir en Palestine grâce à une organisation sioniste. Le jeune homme parcourt le pays en vivant de petits boulots dans les kibboutz, sur les chantiers, dans les gargotes, gagnant à peine de quoi se nourrir et se loger, pas assez pour se consacrer à l’écriture et aux femmes, ses deux grandes passions. Arrêté à plusieurs reprises, il choisit de rejoindre ses parents avant de s’exiler aux Etats-Unis.

Picaresque et humour noir

A l’horreur et la barbarie, Edgar Hilsenrath choisit d’opposer un humour corrosif et une crudité qui dérange. Ruben Jablonski n’est jamais réduit à sa condition de survivant ; c’est un enfant naïf et incrédule devant l’impensable cruauté nazie, puis un jeune homme obsédé par les femmes et le sexe, aimant le cinéma et les livres. Son parcours est animé d’une formidable pulsion de vie qui lui permet d’écrire sur le ghetto et la guerre, tout en cherchant sa place dans le monde avec l’écriture pour boussole, la chance et l’habileté comme contrepoids à la douleur. L’écriture féroce, satirique, dôle et parfois crue, est une manière de résilience qui fait de ce livre un roman généreux et bouleversant et qui, si vous ne connaissez pas encore cet auteur, vous donnera envie de lire ses autres ouvrages, tous meilleurs les uns que les autres.

 

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