Les douze tribus d'Hattie
Ayana Mathis

Traduit par François Hape
Gallmister
americana
janvier 2014
313 p.  23,40 €
 
 
 
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Les racines de la mère

En 2012 paraissait aux Etats-Unis un premier roman écrit par une jeune auteure qui imposa d’emblée son écriture singulière et puissante, en racontant la vie d’une famille noire américaine sur un demi-siècle, des années 1920 aux années 1980, à travers la descendance d’une femme forte et impressionnante prénommée Hattie.

Le livre s’ouvre avec la naissance des jumeaux d’Hattie et August, qui ont fui le sud ségrégationniste pour accéder à une vie meilleure. Nous sommes en 1925. Hattie, du haut de ses dix-sept ans, est mue par une ténacité et un sens pratique à toute épreuve, mais ne pourra pas empêcher la tuberculose d’emporter ses enfants quelques mois après leur naissance. La jeune mère ne se remettra jamais de ce traumatisme, et transforme son désespoir en une violence sourde qui l’habitera toute sa vie. En arrivant à Philadelphie, Hattie avait des projets plein la tête, mais c’est une vie difficile qui commence, où le manque est l’obsession quotidienne dont l’amertume se nourrit.
Le roman est divisé en chapitres portant le prénom de chacun des onze enfants d’Hattie, et c’est à travers leurs destinées uniques que se dessine en creux le portrait de cette mère mal aimante parce que brutalisée par la vie, par les mensonges des hommes lâches qui passent leur temps à boire leur maigre paie, à jouer clandestinement ou à courir après d’autres femmes. Hattie s’endurcit, devient taciturne, et comprend vite qu’elle ne peut compter que sur elle. Pour cette mère, l’essentiel est de remplir les estomacs et habiller ses enfants. La force d’Hattie, ce n’est pas Dieu qui la lui donne, mais une colère originelle dont elle ne se départ jamais, et qui la fera se tenir debout pour ses enfants, puissante, indispensable, inflexible et souvent maladroite.
Les Douze tribus d’Hattie, c’est aussi le portrait d’une Amérique qui ne traite pas ses enfants de façon égalitaire. Dans les faits, il y a toujours un monde pour les blancs et un autre pour les noirs. A ceux-ci les travaux subalternes, les quartiers insalubres, l’éducation au rabais, aux autres le droit à la méritocratie, à la chance, à l’impunité. Les enfants d’Hattie en font la douloureuse expérience : sitôt en âge de quitter le domicile familial, les garçons se tournent vers l’Eglise mais sans réelle foi, vers le jazz mais sans grand talent, les filles se retrouvent seules, dépressives, ou accrochées à des hommes qui ne valent pas mieux que leur père.
Mais les temps changent, les mœurs évoluent, Hattie vieillit, et sa progéniture est en perdition. Ravalant son irascibilité légendaire, elle apprend sur le tard à se comporter en mère, rattrapant ses enfants cabossés, ceux qu’elle peut encore préserver, sa fille Bell qu’elle sauve in extremis, ou sa petite-fille Sala, dernière de la lignée.

Les liens du sang et de la vie sont plus forts que tout, et cette détermination qui pousse l’héroïne à ne jamais abandonner, même au plus profond du désespoir, force l’admiration du lecteur saisi aussi par l’émotion.

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