Les jeunes mortes
Selva Almada

traduit de l'espagnol par Laura Alcoba
metailie
octobre 2015
140 p.  17 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Jeunes, jolies, pauvres et disparues

Dans les années 80, en Argentine, le meurtre d’une jeune femme constituait une affaire traitée par la police avec à peu près autant d’attention que s’il s’agissait d’un simple vol de vélo. C’est ce qui ressort de l’enquête menée par Selva Almada. Cet auteure, qui vit à Buenos Aires et dont le premier roman, « Après l’orage », a été traduit en français l’an dernier, s’est en effet penchée sur trois faits divers vieux de trente ans, restés non élucidés à ce jour. Et ce qu’elle raconte laisse songeur.

Andrea a été poignardée dans son lit. Le corps de Maria Luisa a été découvert dans un terrain vague. Sarita, quant à elle, a tout simplement disparu. Un cadavre de femme a bien été trouvé peu après, ce qui a permis dans un premier temps de classer l’affaire. En fait ce n’était pas le sien, on n’a même jamais su son identité. Mais on n’a pas plus recherché Sarita.

Toutes trois étaient jeunes, jolies, et vivaient dans un milieu populaire, voire très pauvre.

Selva Almada s’arme de courage et de patience, reconstitue leur passé, leur vie, enquête sur ce qui leur est arrivé, et part aux quatre coins du pays pour rencontrer des témoins. Emergent alors, nuance après nuance, trois visages tirés de l’oubli. Andréa était une étudiante brillante qui s’apprêtait à passer ses examens. Maria Luisa une employée de maison qui venait de trouver un travail, Sarita élevait seule son petit garçon, elle était entretenue par un homme marié.
Selva Almada met à jour les difficultés que rencontrent à l’époque les jeunes femmes, pour exister, être autonomes, un tant soi peu libres, face à une misogynie institutionnalisée. Elle décrit aussi un pays qui sort tout juste d’une dictature, ce qui ne veut pas dire que la démocratie s’est installée partout, notamment dans les méthodes policières, un pays où des inégalités énormes existent entre les différentes classes sociales mais aussi entre les grandes villes et les provinces isolées. En outre, dans les voyages qu’elle effectue à la recherche des proches des victimes, dans les témoignages parfois désespérés qu’ils lui livrent, pointent des failles présentes dans l’actuelle Argentine, des plaies non refermées et des injustices qui toujours perdurent.

Non, Selva Almada ne résoudra pas les trois énigmes, et les crimes resteront impunis, car une romancière ne peut pas tout. Son enquête pourtant redonnera vie et dignité à ces jeunes filles que tout le monde a oubliées sauf leurs proches, restés inconsolables, et ce n’est pas rien. Le lecteur, une fois le livre refermé, peut continuer à s’interroger sur ces féminicides, que les Argentins courageux dénoncent aujourd’hui, ces crimes perpétrés contre des femmes parce qu’elles sont des femmes, et se demander si seule l’Argentine a connu ou connaît ce fléau.

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