Les jours clairs
Zsuzsa Bank

Piranha Editions
janvier 2015
538 p.  25 €
ebook avec DRM 16,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Grandir sans désemparer.

« Le Nageur », son premier roman publié en Allemagne en 2002, avait connu un grand succès critique et public. Zsuzsa Bànk nous revient aujourd’hui avec « Les Jours clairs », un livre délicat et envoûtant, qui raconte le parcours de trois personnages liés à vie par l’alchimie de l’enfance.

Seri ne se souvient plus du jour où elle a rencontré Aja, tant il lui semble que celle-ci a toujours fait partie de sa vie, depuis le début des années 1960. Aja habite à la lisière de la petite ville de Kirchblüt, au sud-ouest de l’Allemagne, dans une maison qui donne l’impression d’avoir été assemblée pour du provisoire qui s’est éternisé. Enfant, Seri passe ses journées chez Aja et Evi, la mère de son amie, une ancienne funambule d’origine hongroise, libre et superstitieuse, dont les ongles peints la fascinent. Dans le jardin, les fillettes rêvent, jouent les acrobates, et franchissent la clôture pour aller se perdre dans les champs de maïs voisins ou se balader dans la forêt qui donne sur le lac. Et puis un jour, Karl se joint à elles : ils forment désormais un trio inséparable, genoux égratignés et cœurs écorchés par le manque d’un père mort ou saisonnier, d’un frère disparu. Le temps vaporeux de l’enfance enrobe les êtres et les événements quotidiens dans une routine ouatée un peu à la marge, où les mères seules, trois femmes fortes et solidaires, ont les pieds ancrés dans une réalité peu amène. C’est ainsi que grandissent Aja, Seri et Karl, attrapant de-ci de-là des bribes d’histoires de grandes personnes qu’ils rapportent dans leur cocon. Mais le goût parfois amer du monde extérieur ne parvient pas à diluer la saveur sucrée des étés sans fin, quand les trois amis passent des journées entières à se balancer dans des draps tendus entre les tilleuls, s’approchant doucement du temps où, devenus adultes, ils devront se colleter à la vie. Leur désir de rester soudés comme aux premiers temps de l’enfance se heurtera aux parois des vérités et des secrets révélés qui trahissent les illusions qu’on avait inventées.

Le lecteur se laisse entraîner avec délices dans un voyage en pays d’enfance dont les frontières s’étirent comme pour retarder le plongeon dans l’âge adulte que la vie a déjà rattrapé sans qu’on sache nager. Zsuzsa Bànk possède un talent exceptionnel pour raconter en les effleurant les petits riens des années d’apprentissage qui iront remplir pêle-mêle des valises entières de souvenirs : un gâteau qui refroidit sur le rebord d’une fenêtre, une figure de patinage qui rappelle une libellule en vol, un portillon qui grince. C’est avec une acuité mâtinée de retenue que l’auteur peint ce moment chuchoté de la vie qui s’éveille, parfois aussi coupant que des lames de patins à glace, aussi violent qu’une pierre jetée contre une fenêtre avec colère et chagrin. La magie poétique opère tout au long du roman qu’on lit comme on regarderait à travers une vitre en y collant son front et en mettant ses mains autour des yeux pour bien tout voir et ne rien laisser échapper.

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Un roman d’apprentissage

Les jours clairs, ce sont ceux de l’enfance ; rayonnants, purs et joyeux. Les jours clairs, c’est l’été à Kirchblüt, petite ville au sud de l’allemagne, c’est l’amitié indéfectible qui unit Aja, Karl et Séri, trois enfants d’une huitaine d’années dans les sixties. Entre le lever du soleil et son coucher, les heures s’étirent au rythme des jeux de ces enfants ; roues et autres jeux d’équilibre avec Zigi, le père d’Aja dans le petit jardin qui entoure leur maison-cabane toute rafistolée aux dalles branlantes et au portail de guingois, promenades en vélo autour du lac, courses à travers les champs de coquelicots, de trèfles ou de tournesols selon la saison, contemplation du paysage environnant…
Les jours s’assombrissent quand Zigi, trapéziste, doit rejoindre le cirque où il travaille les trois-quarts de l’année laissant Évi, la maman d’Aja seule dans sa petite maison où il fait si froid l’hiver. Les nuages sont bien lourds quand Karl parle de son frère qu’il a laissé partir un matin avec un inconnu, quant à Séri elle si triste lorsqu’ elle croise le regard trouble de sa mère, jeune veuve.
Séri raconte son histoire et celles de ses amis, des vies ordinaires de gens ordinaires. Des existences qui s’écoulent avec leurs tourments. Elle évoque l’enfance, l’adolescence, l’entrée dans le monde des adultes, Karl sera photographe, Aja deviendra médecin, et Séri s’essayera à la traduction. Cette dernière nous livre sa vision des choses, elle décrit les lieux, les comportements et les réactions de chacun, nous fait part de ses découvertes, de la vérité qui se fait jour, par touches, au fur et à mesure qu’elle grandit. Secrets et non-dits éclatent, des vérités parfois douloureuses… Avec elle, Aja et Karl, on s’envole pour l’Italie, autre endroit, autre atmosphère, les esprits s’échauffent, les reproches arrivent, les souvenirs anciens remontent à la surface sous des angles différents. L’amitié vacille, l’amour s’en mêle, la confusion s’installe.
Un très beau roman sur l’apprentissage de la vie. L’écriture est posée, les phrases sont amples et descriptives, les détails foisonnent, les scènes de la vie quotidienne se répètent comme des ritournelles et l’empathie pour les personnage est de mise. La figure maternelle – repésentée par les mères des enfants – traverse le roman avec profondeur et tendresse. Elles sont le garant de leur équilibre. Malgré quelques longueurs – le livre est un pavé de 540 pages – il se dégage de ce roman de bien jolies choses sur l’amitié et l’amour, les liens familiaux et les souvenirs d’enfance, le monde des adultes pas toujours accessible à l’entendement des enfants, les petits arangements avec la réalité, la solitude, la trahison et la réconciliation. Un roman plein de charme et de poésie.
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