Les Livre des nostalgies
Bernardim Ribeiro

Chandeigne
octobre 2014
352 p.  22 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Saudade

Parfois, on a envie de se plonger dans un bon classique, comme ce très beau « Livre des nostalgies » de Bernardim Ribeiro, auteur portugais du 16e siècle. On ne sait presque rien de ce dernier, mais son « Menina e moça » (« Enfant et jeune fille ») est un classique de la littérature lusophone. Grâce au superbe travail des éditions Chandeigne, il nous parvient dans une traduction moderne et lumineuse. Entre roman de chevalerie, roman courtois et roman pastoral, les femmes sont au centre du livre. Féministe avant l’heure, Bernardim Ribeiro ? On ne va pas tomber dans l’anachronisme, mais il est intéressant de le noter.

Une jeune fille en exil et séparée de son ami, cherche la solitude au bord d’une rivière où elle laisse libre cours à son chagrin. Un jour, elle rencontre une dame plus âgée qui, voyant son désespoir, décide de lui raconter une histoire, ou plutôt trois histoires d’amour malheureux, de séparation et de mort : « les livres sont pleins d’histoires de damoiselles qui n’ont cessé de pleurer pour des chevaliers qui partaient ». La dame tient elle-même ce récit de son père ; autrement dit, les histoires sont des objets de transmission à la vertu consolatrice. On lira ainsi les malheurs des amants en exil Lamentor et Bélisa, les déboires amoureux d’Aonia, sœur de Bélisa, et l’inaccessibilité d’Arima, fille des premiers. Il ne s’agit pas de tirer des leçons ni de relativiser ses propres souffrances, mais de sentir son cœur pleurer à l’unisson des autres.

C’est l’illustration de la fameuse « saudade », mot intraduisible en français, qui exprime à la fois le manque et le délice du manque : « souffrir autant du bonheur passé que du malheur présent ». La félicité liée à un être aimé, un pays perdu, un passé heureux, subit les affres de la fuite du temps, changeant comme l’eau de la rivière au bord de laquelle sont réfugiées nos deux narratrices. Dans cette perspective, la joie est éphémère, contrairement à la douleur, donnant lieu à une véritable esthétique de la tristesse, un pessimisme qui alimente le récit et sert de tremplin aux péripéties dans un enchaînement d’histoires gigognes et un inachèvement envoûtant qui est le propre de la vie. Un chef-d’œuvre de la littérature à lire et faire connaître.

partagez cette critique
partage par email