Miss Jane
Brad Watson

Grasset
septembre 2018
384 p.  22 €
 
 
 
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coup de coeur

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Une vie

Ce beau roman raconte une vie dans un corps entravé, empêché d’être pleinement femme à l’heure où tout semble possible dans une Amérique rurale du 20e siècle qui accueille les changements et la modernité avec circonspection. Tout à la fois réaliste et poétique, l’écriture précise, sensorielle et sensuelle nous transporte par sa puissance d’évocation.

Jane Chilsom naît en 1915 dans le Mississippi avec une malformation urogénitale, ce qui ne l’empêche pas de grandir presque normalement dans la ferme familiale, entre une mère en colère, un père alcoolique et une sœur rebelle. Son seul ami et confident est le docteur Thompson, médecin de campagne qui s’intéresse au cas de l’enfant et se prend d’affection pour elle. C’est lui qui répond à ses questions sur la féminité, sur ce qui différencie Jane des autres, espérant une intervention chirurgicale réparatrice quand les progrès le permettront. En attendant, Jane se résout à être différente, sans que son handicap n’entrave son goût inné pour la liberté et l’autonomie. Mais si la maternité lui est interdite, la jeune femme s’interdit aussi l’amour et la sexualité. Le roman est plein de ces désillusions, résignations, des rapports humains impossibles et du destin auquel on voudrait parfois lancer des pierres.

Brad Watson, natif comme son héroïne du Mississippi, parle magnifiquement de cette terre et de ses habitants divisés par la ségrégation et les préjugés, dévastés par la Grande Dépression. Beaucoup veulent partir, comme la sœur de Jane, avoir l’expérience du monde, car la ruralité est dure, à la fois espace de liberté et de contrainte ; la petite exploitation des Chilsom est un microcosme protecteur mais aussi un lieu vide d’hommes, solitaire et donc dangereux pour l’esprit. A l’instar de Flannery O’Connor, autre écrivain du Sud, Brad Watson dépeint une humanité parfois monstrueuse et désespérée, mais avec empathie et sans jamais la juger.

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