Moisson
Jim Crace

Traduit par Laetitia Devaux
Rivages
octobre 2014
272 p.  20 €
ebook avec DRM 7,99 €
 
 
 
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coup de coeur

Sans feu ni lieu.

Jim Crace a déjà écrit une dizaine de romans lorsqu’en 2013 il connaît un immense succès en Angleterre avec « Moisson », sélectionné pour de nombreux prix et salué par la presse internationale.

Aucune indication temporelle ou géographique précises ne sont données, mais on imagine que l’histoire se passe quelque part dans l’Angleterre du XIXème siècle. Charles Kent est un aristocrate veuf, propriétaire terrien de quelques hectares sur lesquels vivent en autarcie quatre ou cinq familles qui lui sont assujetties selon un système foncier féodal. Le domaine n’a pas de nom, et on appelle tout simplement le groupement de chaumières isolées « Le Village ». Il n’y a pas d’église ni de magistrat, on fait confiance au sens de la justice de Maître Kent dont les paysans travaillent la terre en suivant le rythme des saisons et des rituels ancestraux immuables. « Moisson » raconte comment cette organisation rurale s’effondre en l’espace d’une semaine, et c’est Walter Thirsk, qui a été élevé avec le maître des lieux avant de devenir son serviteur, qui en est le narrateur.
L’arrivée d’un cartographe naïf et enthousiaste pendant la saison des moissons suscite la moquerie et la méfiance de tous ; plume à la main, il transforme et découpe le paysage familier en rectangles de couleurs sur son bloc de papier afin d’en délimiter les contours, pour on ne sait trop quel usage. En effet, jusque-là, pour s’approprier un bout de terre, la coutume veut que l’on allume un feu sur une parcelle vacante pour signifier sa volonté de s’y installer. Un matin, deux foyers laissent échapper des flammes : l’un provient d’une de ces familles désireuses de s’établir sur le domaine, mais l’autre est un incendie qui ravage les greniers à foins du manoir. Le lien est tôt fait entre les intrus et le feu destructeur : ceux-là, livrés à la vindicte, deviennent des boucs émissaires et sont punis en conséquence. Concomitamment, le cousin par alliance de Charles Kent, Edmund Jordan, survient afin de s’approprier les terres dont il est l’héritier. Avide de profit, il affiche sa volonté de transformer le fonds cultivable en pâturages pour la production de laine de mouton. Plein de morgue, il entend aussi réformer les mœurs frustes en procédant à une chasse aux sorcières en règle. Il sème la suspicion, la peur et la violence, montant les familles les unes contre les autres. Walter Thirsk, témoin impuissant des drames qui se jouent sur cette exploitation jusque-là préservée, est pris en étau entre ses voisins qui l’accusent de traîtrise et son amitié pour Charles Kent, expulsé de son domaine. Alors, en secret, il ourdit une vengeance, qui sera à la fois purification et punition de la vanité humaine, dans un dernier sursaut d’honneur.

Cette histoire superbement écrite s’apparente à une genèse païenne, dans laquelle les hommes et les femmes sont sortis de terre sans allégeance à aucun dieu, seulement enracinés par la tradition qu’ils ont forgée, et que la civilisation veut rattraper pour les domestiquer au nom de la propriété capitaliste. Le combat intérieur d’un héros qui comprend ce qui se joue se résoudra par la catharsis et par le refus de capituler devant l’effraction d’une modernité égoïste.

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