Numéro 11: Quelques contes sur la folie des temps
Jonathan Coe

Gallimard
du monde entier
octobre 2016
448 p.  23 €
ebook avec DRM 16,99 €
 
 
 
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coup de coeur

Jonathan Coe au sommet de son art !

Lors d’une rencontre en librairie, Jonathan Coe avait expliqué qu’il aimait bien piocher dans la galerie de personnages secondaires qu’il développe dans ses histoires afin de les faire vivre dans d’autres (c’était le cas avec le héros de Expo 58, déjà brièvement croisé dans La pluie avant qu’elle tombe) et qu’il avait bien l’intention de continuer. Alors ce Numéro 11, présenté comme une suite à Testament à l’anglaise (l’un de mes premiers chocs littéraires), n’est pas vraiment une surprise sur le papier… mais se révèle être un numéro d’écrivain assez époustouflant.

Pourtant, il a failli me perdre lors du premier chapitre. Etait-ce bien du Jonathan Coe que j’étais en train de lire, ces aventures à hauteur d’enfant où le moindre événement prend une ampleur dramatique ? Les toutes jeunes Rachel et Allison confrontées aux mystères du monde des adultes vont néanmoins devenir grandes et ce début un peu poussif prendre finalement tout son sens. Car ce que livre Jonathan Coe est un travail d’orfèvre, un roman tissé comme une toile (oui, cette comparaison est bien volontaire) dans laquelle le lecteur se retrouve totalement collé. Une intrigue qui s’empare de son esprit et ne le lâche plus. Ce n’est pas une suite à Testament à l’anglaise. C’est plutôt le témoignage de ce que l’Angleterre dépeinte dans ce roman est devenue sous l’influence libérale poussée à l’extrême, sous le règne quasiment exclusif de la finance symbolisés par la famille Winshaw, dont l’ombre plane sur Numéro 11.

A commencer par ce titre. Onzième roman de l’auteur paraît-il. Mais surtout, le 11, Downing Street, résidence voisine de celle du Premier Ministre (plus connue), hébergeant le Chancelier de l’Echiquier ou Ministre chargé des finances et du Trésor. Le centre du monde ou en tout cas de celui vu par les dirigeants britanniques adeptes du libéralisme. A partir de là, les cinq parties construites autour du chiffre 11 prennent un éclairage tout à fait impactant, chaque partie venant servir le tableau grinçant que dresse Jonathan Coe. Où dominent les inégalités. Où les puissants manipulent les foules. Où les très riches creusent le sol pour agrandir leurs demeures (jusqu’à 11 niveaux en sous-sol !) et caser les salles de sport, de cinéma ou les piscines, tandis que les étudiants galèrent pour rembourser les prêts qu’ils se sont mis sur le dos, que les foules se pressent dans les banques alimentaires, que les immigrées roumaines promènent les chiens des familles aisées dans les allées des parcs. Personnages invisibles. Vraiment ?

Comme d’habitude avec l’auteur, c’est riche, c’est dense, c’est intelligent. Mais il y a ici quelque chose en plus. Une virtuosité folle, une maîtrise qui lui autorise un détachement rare dans la façon de mener sa trame en dehors des règles et des codes. C’est puissant, pertinent et méchant. Certes, ce livre peut paraître déstabilisant dans sa forme car il demande un peu de travail au lecteur. Mais surtout, il devrait amener à se poser des questions sur notre monde (La Grande-Bretagne, ce n’est pas si loin…), cette finance qui nous gouverne (tiens tiens…), ces mensonges qui inondent la sphère médiatique, cette société de l’apparence… Le miroir renvoie une image plutôt terrifiante.

Un nouveau joyau donc, qui vient enrichir mon étagère dédiée à Jonathan Coe. Gageons que l’auteur ne s’arrêtera pas en si bon chemin et que moi, je serai là pour l’accueillir, encore et toujours.

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coup de coeur

Très anglais

« Si l’on résume le livre, c’est l’histoire d’une amitié entre deux jeunes filles, Alison et Rachel, sur une période d’environ douze ans. À la fin du roman, après divers conflits et épreuves, leur amitié est la seule chose qui perdure — avec le prunier du jardin des grands-parents de Rachel. » Voici le résumé que fait l’auteur lui-même de son roman, mais on sait bien qu’il ne faut jamais résumer un roman. Celui-ci, en l’occurence, est impossible à envisager sous un angle global : il ne s’agit que de particulier. Des moments de vie qui semblent se succéder abruptement alors même que tout est lié et que chaque chose, et chaque personnage, trouvent leur résonance. Se situant quelques années après « Testament à l’anglaise » et sans en constituer une suite à proprement parler, « Numéro 11 » (Downing Street pour le lectorat anglais) en reprend l’esprit et quelques protagonistes et nous expose, souvent par l’absurde, les impasses et les travers des années 2010. C’est féroce, c’est très très très anglais (très) – ce mélange un peu guindé d’extravagance et de gravité, et ça fait appel à nos phobies les plus enfouies. L’histoire de Val, la mère d’Alison qui se consume pour une carrière qu’elle n’arrivera jamais à faire, m’a pétrifiée de bout en bout. En racontant en détail la fourberie du montage dans les émissions de télé réalité, en nous détaillant minutieusement les épreuves auxquelles se soumettent volontairement les candidats, Jonathan Coe est venu gratter sous la peau de mon crâne. Il y a des choses terribles, dans ce roman, qui viennent vous saisir sans que vous puissiez vous défendre, trompé par le ton détaché de la narration et l’humour caustique de la prose. J’ai adoré.

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