Rien dans la nuit que des fantômes
Chanelle Benz

traduit de l'anglais par David Fauquemberg
Seuil
mars 2020
320 p.  21 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

La vie en noir

Le premier roman de Chanelle Benz résonne de façon saisissante avec l’actualité. Une jeune femme hérite de la maison de son père dans le Mississippi, un poète noir mort en 1972 dans des circonstances mystérieuses. Cela fait trente ans que Billie James n’est pas revenue sur cette terre marquée par la ségrégation raciale, et lorsque en 2003 elle pousse la porte de l’ancienne cabane de métayers, elle devra s’approprier les murs et son histoire.

Greendale est une petite ville du Sud profond où « des tas de gens n’ont pas digéré d’avoir perdu la guerre de Sécession » ; au début des années 2000, cette affirmation semble exagérée, pourtant c’est ce que ressentent beaucoup de Noirs du Mississippi Delta, descendants d’esclaves des plantations de coton. Le père de Billie, Clifton James, grandit dans cette atmosphère mais s’engage dans la lutte pour les droits civiques, épouse une femme blanche, publie ses textes dans des revues et appartient à un cercle new-yorkais d’auteurs noirs, au moment où sort le premier livre de James Baldwin. Indésirable à Greendale, car affranchi de toute soumission, pourquoi revient-il dans cette ville où les lynchages sont encore monnaie courante et où il trouve la mort ? Suicide, accident ? Personne, y compris l’oncle Dee, frère cadet de son père, n’accepte d’en parler, or Billie veut savoir, car les rumeurs et les questions sans réponse lui laissent penser que l’affaire n’est pas close. Malgré les menaces, avec son chien et armée d’un pistolet, la jeune femme sillonne le comté, écoute le murmure des fantômes, interroge les acteurs du passé, et trouve par hasard quelques pages d’un manuscrit de son père qu’un universitaire travaillant sur une biographie de Clifton James vient éclairer.

Ce roman remet l’histoire en perspective et s’attache à décrire les racines du mal dans ces états américains du Sud où le Ku Klux Klan se nourrit de la haine, où la police souvent raciste impose un mutisme complice aux mentalités étriquées. Dans ces conditions, ces mots du poète noir sont lourds de sens : « je suis revenu car le sang m’appelait / et c’était mon sang déjà là, dans le sol ». S’il y a des histoires sanglantes, des silences et des peurs, le temps de la justice et de la vérité n’est jamais révolu.

 

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