Un membre permanent de la famille
Russell Banks

Traduit par Pierre Furlan
Actes Sud Editions
janvier 2015
238 p.  22 €
ebook avec DRM 7,49 €
 
 
 
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Des nouvelles courtes comme un roman fleuve

Contrairement aux Anglo-Saxons, les Français rechignent devant les nouvelles, par peur d’être frustrés peut-être. On voudrait en savoir plus : sur les personnages, sur l’intrigue, sur le contexte ou on préférerait se plonger dans un roman fleuve qui court sur plusieurs soirées… mais avec les nouvelles, hop! l’histoire est à peine commencée, qu’il faut passer à autre chose, entrer dans un univers différent, faire la connaissance de nouveaux personnages. Pourtant, lorsque les nouvelles sont vraiment réussies, c’est-à-dire quand l’écrivain n’a pas choisi ce format par manque d’inspiration ou de temps, mais parce que quelques pages lui suffisent pour condenser sa pensée, alors toutes nos réticences s’envolent. Si vous souhaitez vous convertir à cette religion de la « short story », choisissez le recueil des douze textes de Russell Banks qui ressemblent à douze romans-fleuve. Centrés autour de personnages solitaires, ils ont pour fil rouge le moment où la vie bascule. « Un ancien marine », raconte l’histoire de ce vieil homme, prêt à tout pour conserver son statut de chef de famille, qui réserve bien des surprises à ses enfants ; « Véronica » est le récit pathétique d’une toxico croisée dans un aéroport ; « Big dog » évoque les sentiments ambigus que l’on éprouve face à quelqu’un qui vit quelque chose de très heureux; ce subtil mélange de bonheur et de jalousie.  Et pour prouver définitivement que la longueur ne fait rien à l’affaire, la nouvelle la plus émouvante à mes yeux est aussi l’une des plus courtes: dans « Transplantation », un homme qui vient de recevoir un nouveau cœur accepte après bien des réticences de rencontrer la veuve du donneur… qui veut écouter le cœur de son défunt mari une dernière fois.

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Des vies qui ne tiennent qu’à un fil…

Beaucoup de regrets, une dose de mélancolie et un regard acéré sur les petits maux et les grands drames qui sont l’apanage de l’espèce humaine. Voilà ce qui traverse ces douze nouvelles bien ciselées mais pas très optimistes.

Dans chacune de ces histoires, il y a une cassure. Un divorce, la retraite, un deuil, une décision que l’on regrette. Une situation nouvelle à laquelle on peine à s’adapter ou au contraire, à laquelle on s’adapte trop bien. Souvent, on se ment à soi-même. Parfois aussi aux autres. Et puis le temps passe, les regrets plombent le quotidien, la désagréable sensation s’installe que son tour est passé et qu’il est peut-être trop tard. Cruauté du destin. Comme dans « Blue », la triste histoire de Ventana qui a économisé toute sa vie pour pouvoir enfin s’acheter une voiture, synonyme de liberté et d’indépendance. Pas sûre qu’elle ait choisi le bon jour pour passer enfin à l’acte.

« Ancien Marine » dit toute la difficulté des retraités américains ; c’est l’un de mes textes préférés, avec une tension qui ne retombe pas jusqu’au dernier mot. « Un membre permanent de la famille » montre le fragile édifice que constitue une famille, susceptible de s’écrouler si l’un de ses piliers fait défaut… et le pilier n’est pas forcément celui auquel on pense.J’ai également beaucoup apprécié « Oiseaux des neiges », qui démontre que le veuvage n’est pas forcément perçu comme un malheur… mais incite à s’interroger sur la véracité de la relation qui l’a précédé durant des dizaines d’années. « Big dog » est certainement la plus cruelle sur l’observation des sentiments dans une relation d’amitié soumise aux aléas des égos de chacun. Enfin, « A la recherche de Véronica » est un savoureux clin d’œil au métier même de l’écrivain qui n’est rien d’autre qu’un « raconteur d’histoires ».

Pas simple de vivre, se dit-on en refermant ce recueil. Pas simple d’être honnête avec soi-même, de saisir les opportunités lorsqu’elles se présentent, de vivre sa vie plutôt que de la rêver. Pourtant, ne pas le faire expose à de graves désagréments. CQFD.

Retrouvez Nicole G. sur son blog 

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