critique de "Une comédie des erreurs", dernier livre de Nell Zink - onlalu
   
 
 
 
 

Une comédie des erreurs
Nell Zink

traduit de l'anglais par Charles Recoursé
Seuil
cadre vert
août 2016
304 p.  20,50 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Inclassable Amérique

Dans ce roman réjouissant, ce n’est rien moins que le rêve américain que dézingue l’auteure. La famille, l’université et la justice dégringolent de leur piédestal dans une satire sociale où les illusions de jeunesse font long feu, où le mensonge est érigé en mode de vie et les petites mesquineries considérées comme un polissage des communautés.

Lorsque Peggy, jeune lesbienne romantique, entre à l’université féminine de Stillwater (Virginie) en 1965, elle veut devenir dramaturge. Mais elle s’amourache de son professeur d’écriture créative, Lee Fleming, poète raté, héritier d’une riche famille sudiste qui ne veut pas entendre parler de lui à cause de son homosexualité affichée. Ce qui devait être une aventure sans lendemain se transforme en cauchemar à perpétuité : Peggy est enceinte, Lee l’épouse et ils ont un deuxième enfant dans la foulée. La jeune femme, désormais Madame Fleming, arrête ses études et devient mère au foyer, tandis que Lee se retrouve prisonnier d’une situation inextricable. A cause d’une folie, l’une a dû renoncer à ses rêves, l’autre à sa vocation, et tous deux à leur orientation sexuelle respective. Ils en viennent à se détester, par moments à détester leur progéniture, jusqu’à ce que Peggy s’enfuie avec sa fille. Par peur des autorités, elle déniche une cabane abandonnée dans une petite ville perdue, change d’identité et accomplit la prouesse d’inscrire sa fille blanche et blonde dans une école pour Noirs, arguant sans vergogne de la règle de la « goutte de sang » dans son arbre généalogique (une scène irrésistible !). Elles mènent une vie pauvre et cachée, Peggy, éternelle paranoïaque (ou au choix « complètement cinglée ») exerçant pour survivre des activités illégales.

Usurpation d’identités, faux-semblants, hasards et comique de situation font souvent penser aux procédés shakespeariens. Tout est improbable, et pourtant tout passe, les mensonges les plus grossiers comme la naïveté de ceux qui veulent bien les croire. Cette histoire familiale atypique permet aussi de suivre une société en mutation entre les années 1960 et 1980, dans laquelle les Noirs, les Amérindiens, les femmes et les homosexuels luttent contre la discrimination et entendent aussi accéder au rêve américain. Voici un roman drôle, féroce, faussement léger, parfois complètement foutraque et politiquement incorrect : un régal !

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 Les internautes l'ont lu
nuit blanche

Peggy s’est mariée… les ennuis commencent

Parmi les découvertes de la rentrée 2016, le premier roman traduit en français de Nell Zink occupe une place à part. Une comédie des erreurs (titre original : Mislaid) est le second roman de cette femme qui a grandi en Virginie (elle y situe l’action durant les années soixante) avant de se lancer dans la musique et l’écriture en publiant «Animal Review».Ce fanzine tomba entre les mains d’un musicologue israélien qu’elle épousera et accompagnera à Tel Aviv où elle continuera à écrire ses petites histoires. Activité qu’elle poursuivra en Allemagne où elle vit aujourd’hui. Encouragée par Jonathan Franzen, avec lequel a entretient une correspondance régulière, elle publiera un premier roman, The Wallcreeper, qui se déroule dans la mouvance écologiste allemande et qui sera salué par la critique qui l’a d’emblée placée au rang d’un John Irving.
Si ces compliments méritent encore confirmation, il est vrai que l’on retrouve dans Une comédie des erreurs des situations et une manière très imagée de retracer les événements qui nous rapproche du monde selon Garp et plus encore de L’Å“uvre de Dieu, la part du diable.
Peggy Vaillaincourt est le personnage principal de cette histoire qui nous replonge dans l’Amérique profonde (nous sommes en Virginie) des années 1960. Après une enfance et une adolescence peu propice aux excentricités – son père est prêtre épiscopalien et aumônier dans un pensionnat de jeunes filles, sa mère fait office de psychologue pour les brebis égarées – elle choisit de poursuivre des études à l’université de Stillwater. Dans ce «repaire de lesbiennes», elle va parfaire sa formation auprès de Lee Fleming, un professeur de poésie homosexuel.
Cette liaison improbable ne va pas tarder à porter ses fruits : « « C’était la première fois que Peggy voyait un gynéco et cela ne lui plut pas. Il était censé lui poser un diaphragme. Au lieu de ça il jeta un coup d’œil à son col de l’utérus et dit : « Mademoiselle Vaillaincourt, vous êtes enceinte et je dirais que vous en êtes à un stade où vous devriez saisir la première occasion pour vous marier. » Elle dit qu’elle ne voulait pas d’un bébé, et il répéta sa sentence mot pour mot sur un ton parfaitement identique, telle une machine. »
S’il répond à un souci de respectabilité, surtout à cette époque, le mariage ne résout pas les problèmes. Et si un second enfant naîtra après leur union, la conception qu’ils ont de leurs rôles respectifs va faire voler en éclat le couple. Peggy n‘entend pas jouer les mères au foyer et entend s’engager dans une carrière littéraire, Lee veut conserver sa liberté, quitte à faire interner son épouse récalcitrante et par trop fantasque.
C’est le moment que choisit Peggy pour prendre la poudre d’escampette et se réfugier avec sa fille Mireille dans une bâtisse laissée à l’abandon dans une zone de marécages. Afin d’effacer toute trace de son identité, elle prennent le nom d’une famille noire: Meg et Karen Brown. Ce subterfuge va parfaitement fonctionner, ne suscitant guère d’interrogations parmi le voisinage. Mieux même, il crédibilise les conditions de vie précaires imposées par cette fuite. Dans cette Amérique qui se bat pour les droits civiques, il est normal que les noirs soient pauvres.
Du roman de formation, on passe insensiblement à une étude sur les droits des femmes, puis à une réflexion sur le racisme et les droits civiques pour finir sur une réflexion désenchantée sur les principes d’éducation et le rôle de la famille.
Lee va effet essayer de retrouver sa femme pendant bien des années avec son fils à ses côtés. Peggy va elle tenter de s’extirper des marais qui l’entourent avec, cette fois sa fille à ses côtés. Nell Zink se place en narratrice omnisciente qui observe cette mêlée et sonde les contradictions et l’égocentrisme des uns et les autres. Avec beaucoup de subtilité, elle nous livres– quelquefois sur la même page – les arguments des uns et des autres. C’est ce que donne aussi au récit tout son sel. La comédie prend des accents joyeux et les erreurs se révèlent quelquefois des choix très lucides. Auteur à suivre !
Retrouvez Henri-Charles Dahlem sur son blog 

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Un roman intelligent !

Quel étrange roman ! Je ne sais pas, en le terminant, si je l’ai aimé ou pas, mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a une autrice, là. L’histoire que nous raconte Neil Zink est à la fois totalement absurde et parfaitement maitrisée, sa narration est ultra particulière, tenter de l’expliquer est d’une grande difficulté. C’est l’histoire d’une famille, en Virginie, des années 60 aux années 80. La voix qui raconte se tient à distance, s’attarde sur des moments précis curieusement choisis, avance à grand pas ou fait du surplace, et est toujours d’un sérieux inébranlable. Dans le même temps, ce qui se passe est improbable, extrêmement empli d’érudition, et d’un humour percutant. C’est loin d’être facile à lire – parfois j’ai dû relire même, bien que les mots soient simples ils sont agencés de telle façon que le sens se dérobe (enfin, pour moi en tout cas !). Mais de ce fait c’est intrigant, intéressant, et on a toujours envie d’en savoir plus. Les Fleming m’ont rivée à leurs démêlés et j’ai terminé en riant toute seule devant ce monument de scène qu’est le repas des retrouvailles. Un roman intelligent !

« Peggy n’allait jamais voir ses parents de son propre chef, mais c’était un cas exceptionnel. En général, Lee et elle alternaient pour ne délaisser aucune famille : Pâques ici, le 4-Juillet là, ainsi de suite. Ils dînaient invariablement chez les Vaillaincourt pour Thanksgiving car la mère de Lee ne cuisinait pas. Ensuite tout le monde se rendait chez les Fleming pour Noël. Ils avaient des bonnes qui veillaient à ce qu’on ne manque jamais de lait de poule, et un sapin haut de deux étages dans le vestibule avec un train miniature autour du pied, et les petits les adoraient. Les parents de Peggy, à l’inverse, trouvaient que sa façon de les gâter dépassait l’entendement. Sa mère s’était agenouillée sur le tapis à côté de Byrdie , avait caché son nouveau ballon Nerf derrière son dos et dit : « Je sais que tu n’as pas l’habitude qu’on te dise non, mais je ne veux pas jouer à ça maintenant. Je veux qu’on joue aux cartes avec ta soeur. Est-ce que tu veux bien faire une petite chose pour quelqu’un d’autre ? » Avec les Vaillaincourt, les réunions de famille étaient des affrontements tendus et bornés autour de l’éducation des enfants, un bouillonnement derrière une façade de distinction ritualisée, et tout le monde les évitait soigneusement. »

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