77
Marin Fouque

Actes Sud
août 2019
222 p.  19 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
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77

C’est un premier roman dont on va entendre parler j’en suis certaine. Pour diverses raisons.

Sa forme : c’est un récit écrit d’un jet continu, d’une traite, sans chapître, sans alignement. Un texte continu entrecoupé de nom de COULEUR ou de METALLISE en majuscules. C’est tout.

Un peu perturbant au départ mais nécessaire comme un flot de paroles continu, un grand monologue qui raconte le quotidien d’un ado en capuche dans le 77.

C’est un récit qu’à plusieurs reprises, j’ai lu à voix haute pour entendre claquer la langue, sa musicalité, son rythme.

Ça claque, ça pète, ça vit et pourtant il ne se passe pas grand chose dans cet abribus en béton où notre narrateur passe ses journées à fumer des pétards refusant de prendre le car scolaire conduit par Polnareff. Il regarde Enzo, le traître, la fille de novembre, le grand Kevin et les jumeaux partir et reste la journée dans son abri sous sa capuche.

Il nous raconte son 77, et regarde passer les voitures sur la nationale, une rouge, et il se souvient, une jaune, d’autres souvenirs reviennent et surtout 3 métallisées ce matin là.

C’est un roman d’initiation, lui au corps frêle, qui se planque sous sa capuche, nous raconte son bled, ses champs marron, le père Mandrin sur son tracteur, la vieille, les vieux qui jouent au loto, la parisienne, ce qui a fait que son pote Enzo soit devenu le traître, …

Il nous conte l’arrivée du grand Kevin qui fera de lui un autre.

Je n’ai pas envie de vous en dire plus si ce n’est que c’est rural, c’est noir, ça claque, ça pulse, la vie quoi dans le 77.

L’écriture est tranchée, saccadée, c’est un long monologue sonore et sensible. Poétique à sa manière.
Quelle force d’écriture. Un coup de poing, un coup de maître disent certains.

Ce roman sort de l’ordinaire. A découvrir de toute urgence.

Ma note : 8.5/10

Les jolies phrases

Ils se prennent pas mal la tête, les vieux, dans la vie. Ça rassure pas pour les années à venir.

Fumer quand on est pompiste est un sport dangereux, il disait, mais ça passe le temps, il ajoutait avant de conclure que souvent, c’est ce qui est le plus dangereux qui passe le mieux le temps.

L’odeur de peau des vieux, faudrait réussir à l’isoler. Pour comprendre. Comprendre l’odeur du temps, des paquets d’années entassés. Comme les strates de terres en cours de SVT, à l’époque où j’y allais encore. Cette odeur de peau de vieux, elle imprégnait la salle, tu la sentais dans ton nez à peine passé la porte.

Dingue comme le bruit d’une bagnole peut ramener au réel. Et dingue comme les souvenirs peuvent défiler. Encore plus vite que la vie. Le passé, il s’enchaîne bien mieux que le présent, j’ai remarqué.

Toute la journée, calme moi aussi, les nuages à mater. Ça bougeait toujours, les nuages, une forteresse qui devient un chien qui devient un cheval qui devient un bateau qui devient un flingue qui devient une bagnole qui devient une masse, qui devient une gueule. Et quelques avions qui la percent comme on s’éclate les boutons.

La première claque du shit, tu t’en souviens longtemps. D’abord tu la crains, tu te dis que c’était la pire chose au monde, le pire moment de ta vie, plus que ça se reproduise, tu t’arrêtes bien avant que ses ressacs ne reviennent. Et puis un jour tu la regrettes. Tu te mets à se recherche. Tu l’idéalises. Un peu comme l’amour. C’est la mémoire qui te trompe. D’ailleurs, ça sert peut-être à ça la mémoire : trouver la vie belle au moins dans le rétro. Dans le rétro du tracteur de la vie, y a l’ancienne terre qui se retourne. Par vagues ça se retourne et puis plus rien n’est comme avant . Nouvelle terre. Belle terre bien grasse et sombre du sud 77.

La vie c’est des coups, la défonce c’est de l’entraînement. C’était ça être un homme, un vrai : se connaître de l’intérieur, en profondeur.

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