critique de "Ada", dernier livre de Antoine Bello - onlalu
   
 
 
 
 

Ada
Antoine Bello

Gallimard
blanche
août 2016
368 p.  21 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

A quoi pense Ada ?

L’intérêt des ponts comme celui de l’Ascension, c’est qu’ils permettent aux blogueurs de faire une plongée dans les eaux profondes de leur PAL et de remonter à la surface des petits bijoux jamais explorés. Et quel est le trésor que j’ai exhumé de la plus grande fosse de la planète ?
L’auteur s’appelle Antoine Bello et le titre du roman est : Ada et… j’ai… A-D-O-Rééééééééé… et bien évidemment, je me suis demandé pourquoi je ne l’avais pas remonté à la surface plus tôt… d’autant que j’avais lu sur la toile de nombreuses critiques très élogieuses… Eh bien, c’est fait et quel bon bouquin ! Vraiment, je me suis régalée !
Le sujet : Franck Logan est policier, spécialisé dans les trafics humains, et une mission un peu spéciale vient de lui être confiée : il doit retrouver Ada, un logiciel d’intelligence artificielle qui a disparu. Les deux fondateurs de la Turing Corp., entreprise située dans la Silicon Valley, sont sur les dents. Ils ont avec leurs actionnaires investi énormément d’argent dans ce projet. Il faut retrouver Ada coûte que coûte. Franck a beau habiter cette Silicon Valley, lui et les technologies numériques, ça fait deux. Mais au fait, qui est Ada ? « Un ordinateur conçu pour imiter le cerveau humain », lui explique un des boss. « Elle parle, elle détecte les émotions de ses interlocuteurs, il lui arrive même de blaguer. »
Tout ça, Franck peut l’entendre mais sa fonction ? Eh bien, c’est simple : elle écrit des romans, plus exactement, elle est programmée pour écrire des romances. On lui a fait ingurgiter une quantité industrielle de romances anglaises, 87301 exactement à raison de 10000 par jour , dans l’ordre chronologique, et maintenant qu’elle en a compris la recette et dégagé les règles d’or , 13451 règles d’or précisément (du nom idéal de l’héroïne au nombre exact de scènes de sexe en passant par la quantité précise de dialogue dans le récit …) il ne lui reste plus qu’à en recracher une, et une qui plaira au plus grand nombre, si possible. Le but ? Comme toujours, l’argent ! Vendre au moins cent mille exemplaires de l’ouvrage qui a déjà un titre (vous apprécierez …) : Passion d’automne !
Bon, tout n’est pas encore parfait, je veux dire, le logiciel n’est pas encore totalement au point : certains dialogues sont un peu crus, le niveau de langue n’est pas toujours adapté, mais c’est sur la bonne voie…
Problème, hélas : Ada a disparu et finalement , après avoir entendu toutes ces explications, Franck se dit que les ravisseurs d’Ada ont peut-être « rendu un fier service à l’humanité. »
Ada est un livre passionnant à plusieurs titres : tout d’abord, il pose la question de la place qu’on voudra bien laisser aux intelligences artificielles dans notre monde à venir. Il nous faudra peut-être veiller à ne pas jouer aux apprentis sorciers qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez et se retrouvent pris au piège par la technique censée les servir et non les asservir.
Par ailleurs, Antoine Bello nous invite à réfléchir à ce qu’est au fond la littérature et plus précisément, la création littéraire : en effet, une machine peut-elle remplacer un écrivain ? Évidemment, non, me direz-vous ! Et je suis bien d’accord et pour autant, un écrivain n’est-il pas quelqu’un qui a lui-même beaucoup lu, assimilé une certaine quantité d’oeuvres littéraires dont il va être, consciemment ou non d’ailleurs, l’héritier ? De plus, échappe-t-il à ce qui est à la mode, à ce qui se fait, se vend au moment même où il écrit ? Ne se conforme-t-il pas, plus ou moins consciemment, à une certaine « attente » de son lecteur ? Finalement, un écrivain de chair et d’os a-t-il plus de liberté qu’une intelligence artificielle ? « Un auteur ne s’affranchit jamais totalement des codes » fait remarquer très justement Ada à son interlocuteur, ajoutant que finalement, comme les intelligences artificielles, les auteurs sont « condamnés à rabâcher ; nous ne parlons pas, nous répétons. »
Comment définir alors la notion d’originalité, si originalité il y a ? Franck finit par s’interroger : « On disait les ordinateurs conçus pour penser comme les humains ; et si c’étaient les humains qui pensaient comme des ordinateurs? »
Vertigineux ? Non ? En tout cas, cela mérite réflexion !
Au delà de cette problématique, Antoine Bello s’interroge aussi sur le pouvoir des mots et de la communication dans un système démocratique : qui se cache derrière les mots prononcés par les politiques ? Eux-mêmes ? Pas sûr! Un autre ? Certainement ! Une intelligence artificielle ? Qui sait ? Quand on connaît la force des mots et leur pouvoir absolu de manipulation, il est toujours bon de savoir qui en est à l’origine ! Et si c’était un logiciel qui saurait exactement, grâce à tout ce qu’on laisse de nous sur la toile, comment nous séduire, nous plaire et nous faire changer d’avis… Un logiciel intelligent qui connaîtrait nos goûts, nos habitudes, nos points faibles et qui nous dirait ce que nous aimons entendre, qui nous présenterait comme des êtres exceptionnels afin de mieux nous manoeuvrer, nous tromper et faire de nous de vraies marionnettes…
Quant aux intelligences artificielles, Franck s’interroge tout au long du roman : « Ont-elles une conscience? », non, bien sûr, me répondrez-vous, oui mais … lorsqu’il pose la question de savoir si Ada est une personne à la femme de ménage qui s’occupe de nettoyer la pièce où se trouve le logiciel, cette dernière a cette réponse étonnante :  « -Bien sûr que non ! Les personnes ont des bras et des jambes. – La considérez-vous pour autant comme votre amie ? – La meilleure amie que j’aie dans mon travail… » répond sans sourciller la jeune femme.
Allez, je ne vais pas en dire plus sinon que vous allez vous régaler car c’est un texte merveilleusement construit, très intelligent et plein d’humour (ah ce Franck technophobe qui avoue n’avoir rien compris à Blade Runner, n’a aucune idée de ce qu’est une adresse IP et passe ses soirées à écrire des haïkus !…)
C’était mon premier Bello, je peux vous dire que je n’en louperai pas un désormais !

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« Au fond, tu n’es qu’un robinet à clichés. »

Ada et moi ça a mal commencé. Déjà, je ne parvenais pas à comprendre pourquoi un petit policier à la carrière plutôt décousue, arrivé à la cinquantaine et pas mal réac sur les bords était chargé de la disparition d’une intelligence artificielle d’une boite en vue de Palo Alto. Ensuite pendant les soixante premières pages c’était l’ennui sévère. Est-ce que ça va commencer un jour ? me disais-je en relisant les billets de élogieux et en me demandant si je faisais un blocage sur Bello ou quoi. Peut-on avoir deux lectures aux antipodes d’un même roman ? – on peut, mais il fallait ici juste un peu de patience (qualité dont je ferais volontiers l’acquisition, votre prix serait le mien); Endurons, donc, les pages insipides sur le Baseball ou les haïkus, ou l’exposition de tout ce qu’on sait déjà (les lois d’Asimov ou l’histoire d’Alan Turing) et ne doutons pas qu’elles aient leur utilité (mais quand même : c’est longuet). Et puis le miracle du rire : la page 79, dont je ne peux rien révéler, lance véritablement le plaisir (c’est vraiment vraiment drôle), et j’ai alors accepté le principe de la pochade. Car rien n’est véritablement sérieux dans ce roman où l’exagération, le « recours intempestif et parfois incongru au registre argotique » (je cite), « le style effroyablement quelconque » (je cite toujours) et les nombreux côtés caricaturaux sont voulus, décidés, assumés : ils ont leur sens; dont ne saura rien avant les deux dernières pages, qui nous font reconsidérer ce qu’on vient de lire et qui, si on est un lecteur honnête (c’est-à-dire pas un blogueur d’après la page 323*), nous font reposer le roman avec un sourire sinon ravi, du moins satisfait. Entre-temps, Ada et sa mission nous auront décortiqué le monde de la romance littéraire et projeté quelques extrapolations inquiétantes quant aux IA, entre autres. *« Je croyais que l’intérêt de tenir un blog consistait à exprimer son point de vue. – Non, l’intérêt d’un blog consiste à présenter au reste du monde une version idéalisée de soi-même : on encense des livres qu’on n’a pas lus, on relaie des pétitions qu’on ne signe pas, on dénonce le racisme alors qu’on change de trottoir pour ne pas croiser un Noir en capuche.«

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coup de coeur

Antoine Bello est-il une intelligence artificielle ?

A la lecture de ce nouvel opus d’Antoine Bello, une question s’insinue petit à petit dans l’esprit du lecteur qui se demande au fur et à mesure s’il est vraiment en train de lire un roman d’Antoine Bello. Qu’est-ce que c’est que style bizarroïde qui pointe le bout de son clavier de-ci de-là ? Qu’est-ce que c’est que cet objet littéraire un peu disparate ? Et puis, la lumière devant se faire, la lumière se fait et le lecteur, j’ose espérer majoritairement plus percutant que Franck, l’inspecteur en charge de l’enquête sur la disparition d’Ada, l’AI (intelligence artificielle) créée par l’entreprise Turing Inc. et chargée d’écrire un roman à l’eau de rose qui se vendra à plus de 100.000 exemplaires, prend en fin de compte conscience qu’une fois de plus Antoine Bello s’est joué de lui. Antoine Bello oppose ici un esprit humain plutôt créatif et honnête en la personne de Franck Logan et un esprit informatique en posant tout un tas de questions toutes plus pertinentes les unes que les autres : qu’en est-il du processus créatif ? Du succès littéraire ? Sont-ils le produit de statistiques qui, si on ne retient, pour chaque aspect de le création littéraire, que la meilleure, assurent leur utilisateur d’un succès ? Sont-ils propres à l’apport créatif propre à chaque auteur, à chaque être humain, chacun dans son domaine, ces réflexions pouvant être appliquées à chaque domaine de la vie quotidienne ? Les AI ont-elles une conscience qui en ferait les égales de l’homme et serait à même de les doter d‘une âme ? La problématique n’étant pas tant, à mon sens, l’envahissement de notre société par les AI mais la perte induite de la valeur du langage et de la communication qui cimentent les relations et les sociétés. Voilà pour le fond qu’Antoine Bello ne perd jamais de vue et auquel il apporte ses propres interprétations. Pour ce qui est de la forme, là encore, Antoine Bello prend un malin plaisir à appliquer son système de statistiques à son propre récit pour jouer sur les codes, sur les genres, sur les nouveaux de langages, sur les sentiments, bref sur tous les ressors mis à disposition des auteurs pour leur permettre de rendre la copie voulue que ce soit sur le fond ou sur la forme, les deux étant évidemment intrinsèquement liées. Au final, on ne sait plus si ce livre est celui de Franck Logan (ou d’Antoine Bello, cela revient au même) ou d’Ada et les deux « articles » proposés à la fin du livre comme analyses du livre lui-même pour savoir par qui il a été rédigé ne livrent pas plus de clefs dans la mesure où le lecteur est amené à se demander si elles ne sont pas elle-mêmes rédigées par des AI, que ce soit celle allant dans le sens d’un livre rédigé par une AI ou celle allant plutôt dans le sens d’un livre écrit par un être humain. Antoine Bello s’amuse à tous les niveaux et notamment avec les noms. En plus de celui de l’AI, Ada, en référence à Ada Lovelace qui a réalisé le premier programme informatique, et de celui de l’entreprise qui l’a créée, Turing Inc., en référence à Alan Turing, mathématicien et cryptologue britannique, Antoine Bello propose deux personnages, secondaires mais représentatifs, répondants aux doux noms de Chuck Bronson et Gus Rijkaard… Bref, ce nouveau roman de la rentrée littéraire 2016 d’Antoine Bello enrichit encore l’œuvre d’un écrivain à la fois constamment joueur avec son lecteur et la forme de ses récits et se posant les interrogations essentielles et profondes imposées par la société dans laquelle il évolue. Le seul véritable « accroc » dans la bibliographie d’Antoine Bello reste à ce jour Mattéo qui ne proposait pas les mêmes ambitions sur le fond et détonnait un peu par rapport à des livres aussi forts que la série des falsificateurs ou plus récemment son « Roman américain ».

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