Alma Zara
Alain Fleischer

Grasset
Vingt-six
février 2015
480 p.  22 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

L’abécédaire intime d’Alain Fleischer

La collection Vingt-six, chez Grasset, c’est plutôt une belle idée : donner à des auteurs connus l’occasion de décliner leur univers sous la forme d’un dictionnaire, de A à Z. Plusieurs s’y sont frottés, de François Bon à Pierre Jourde, multipliant les entrées pour offrir un kaléidoscope foisonnant, extrêmement précieux pour qui s’intéresse à leur travail. Personne pourtant n’a atteint l’art d’Alain Fleischer qui s’est permis, en artiste inventif, de subtilement détourner le genre.

« Alma Zara » est un roman, un vrai, dans lequel un narrateur perd et retrouve sans cesse une femme, qui change d’âge, d’apparence et de prénom de chapitre en chapitre, d’Alma à Zara, donc. Les souvenirs de Damian, le narrateur, débutent durant l’été 44. Il a sept ans et vit caché avec d’autres enfants dans une maison isolée au milieu d’une forêt profonde, quelque part en Transylvanie. L’angoisse est son quotidien et, désœuvré, il s’applique à apprendre le français, persuadé que cette nouvelle langue le sauvera. Son maître est le vieux Abba, qui lui enseigne la signification des mots, tandis qu’Alma, une belle adolescente violoniste qui le fascine, lui en apprend la prononciation. Mais, une nuit, Alma disparaît. Sept ans plus tard, Damien est lycéen à Paris. Orphelin, il a été recueilli à la fin de la guerre par une tante, elle-même rescapée du génocide. Et il retrouve par hasard Alma. Elle a vingt-et-un ans, s’appelle désormais Bella, ils deviennent amants. De chapitre en chapitre, les années passent, Damian grandit, vieillit, court de pays en pays, pourtant tout le ramène à cette nuit de l’été 44 où Alma a disparu, « le dernier été de l’ancien monde », alors que sur son chemin, cent fois changeante et pour toujours insaisissable, elle réapparaît, sous les traits de Clara, Gabriella, Marika, Rebecca…

Alain Fleischer semble hautement s’amuser avec ce roman baroque aux contraintes multiples, roman qu’il dirige avec une flamboyante maîtrise. La lettre dédiée à chaque chapitre introduit non seulement le prénom du personnage féminin mais aussi différents concepts qu’il explore : beauté, désir, néant, qualité, territoire. Ainsi il nous offre un texte plein de chausse-trappes, infiniment émouvant. Car cette poursuite d’un idéal féminin finit par constituer un portrait intime, tracer un labyrinthique imaginaire intérieur, reprenant motifs et thématiques qui jalonnent l’œuvre romanesque de Fleischer. La mystérieuse jeune femme initiatrice du préadolescent, mais aussi la guerre, la clandestinité, la souffrance d’un monde perdu, celui des immigrés venus d’Europe de l’Est, et la nostalgie de leur français parlé avec l’accent hongrois.

 

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