Après le silence
Didier Castino

Liana Levi
litteratur
août 2015
221 p.  18 €
ebook avec DRM 10,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

L’héritage du père

C’était la vie d’avant, celle des années 70, celle du monde ouvrier, des usines et de leur omniprésence dans une France en pleine mutation. Une vie dans laquelle l’homme (mari, père) se construit avec cette réalité là : travailler, avoir un métier, c’est exister. Mais quand il meurt d’un dramatique accident à la veille des vacances, en juillet 74, Louis Catella, forcément, s’interroge. N’étant plus là, comment être un père pour ses enfants, quels conseils leur donner pour les accompagner dans la vie ? Comment inciter sa femme à tourner la page ?

L’incroyable force de ce premier roman est d’installer dans un échange forcément impossible ce questionnement-là. Louis se raconte, monologue sensible et plein d’humour sur sa vie. Celle d’avant l’accident. Les valeurs à l’usine,la camaraderie, l’engagement syndicaliste, l’amour avec Rose, les fils qui naissent, les vacances en famille… Et celle d’après son décès, avec des propos plus douloureux. Les réactions de l’entourage sont observées par Louis, tout comme la construction bancale de ses fils, Lucien, Alexandre. Le dialogue que le père tente de maintenir avec le plus jeune de ses fils, âgé de sept ans au moment de sa mort, est émouvant.

Fils qui, à son tour, prendra la parole pour répondre à ce père qu’il ne voit plus, n’entend plus. « Je prends tout ce que je peux de toi (…) papiers d’identité (…) carte de sauveteur secouriste…du parti communiste français et de la CGT (…). Je prends mais je te perds chaque jour (…). Je perds ta tête, tes yeux, ta bouche tordue quand tu es en colère (…). Je perds ton clin d’œil à Noël quand j’ai peur d’ouvrir le gros cadeau (…). Je perds la Coupe du monde 1974 en Allemagne et les vignettes des footballeurs collées sur l’album que tu m’achètes juste avant de mourir à l’usine… ». Nostalgique, émouvant, ce texte d’une sensibilité extrême se lit d’une traite. La musicalité des phrases fait parfois penser à une chanson de Raphaël. Le monde ouvrier, prolétaire que décrit Didier Castino est de la même verve que le dernier texte de Sorj Chalendon « Profession du père », même si le traumatisme de l’héritage paternel n’est pas le même.

Pour Lucien et Alexandre, les béances, les impossibles coups de gueule, la perte et le deuil qu’on ne peut évoquer car on est trop jeune, ou parce qu’il est la marque de la mère qui sombre…seront autant d’épisodes qui décideront de leurs vies d’adultes. Hommes fragiles, façonnés par la colère, taiseux et sensibles qui, chacun à leur manière, feront avec l’héritage ouvrier du père.

 

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