critique de "Arcadie", dernier livre de Emmanuelle Bayamack-Tam - onlalu
   
 
 
 
 

Arcadie
Emmanuelle Bayamack-Tam

P.O.L
fiction
août 2018
448 p.  19 €
ebook avec DRM 8,49 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

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coup de coeur

Un esprit libre dans un corps libre

Voici l’un de mes coups de cœur de cette rentrée littéraire : un roman d’apprentissage moderne, non consensuel, un livre audacieux qui bouscule son lecteur, refuse tout manichéisme et parle de la société d’aujourd’hui avec acuité et fantaisie.

Adolescence programmée

L’héroïne, Farah, vit avec ses parents dans une communauté en zone blanche, qui échappe aux ondes électromagnétiques, à Internet et à ses dérives, et qui prône l’amour libre et global. Les pensionnaires de Liberty House ont choisi un mode de vie alternatif, autarcique et écologique, où chacun a sa place, sans discrimination : jeunes, vieux, obèses, handicapés, malades… Farah a donc grandi au milieu de la nature et des livres, sans véritable contrainte. Adolescente, elle n’est pas jolie selon les canons de papier glacé, ce qui ne l’empêche pas de séduire Arcady, le gourou de la secte, dont elle est follement amoureuse. Mais ce qui la trouble, c’est son physique à l’apparence ambigüe, un corps qui se virilise à la puberté au lieu de subir les modifications physiologiques habituelles. Débute alors une quête d’identité traversée par le questionnement des notions de féminité, de masculinité et d’intersexuation.

Le serpent dans le jardin d’Eden

Cet été-là, l’été de ses quinze ans, un migrant s’introduit clandestinement dans la petite communauté qui refuse de l’accueillir. On touche ici aux limites de l’ouverture d’esprit affichée, et Farah découvre que les préjugés de la société extérieure sont identiques au sein de Liberty House. De fait, notre héroïne, qui a déjà du mal à savoir qui elle est, devra trouver sa place tout en restant fidèle à ses valeurs et à ses désirs. Avec extravagance, humour et rudesse parfois, le roman d’Emmanuelle Bayamack-Tam tord le mythe de l’Arcadie tout en interrogeant le corps du monde moderne. Le corps physique hors norme, dégradé, vieilli, objet d’attirance et de répulsion, et le corps social violent, incapable d’inclure l’altérité. Au temps des migrations et de la mondialisation, les déchus du paradis sont appelés à inventer un nouveau mode d’être. Lecture passionnante, qui nous entraîne dans des chemins de traverse semés de références littéraires comme autant de petits cailloux taillés comme des diamants.

 

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 Les internautes l'ont lu

Faire son numéro hors de portée du numérique…

Un bien joli nom : Arcadie ! S’agit-il d’un pays, d’une province, d’un lieu enchanteur ou d’un joli nom ou prénom ?… Eh oui, le titre attire, et quand on lit la quatrième de couverture on se dit qu’il y a un peu des deux …

Lisant la première phrase de cette présentation : « Si on n’aimait que les gens qui le méritent, la vie serait une distribution de prix ennuyeuse ».

Cela a suffi pour que j’achète ce roman dont, jusqu’alors, j’ignorais l’existence de l’auteure…

Dès les premières lignes, on entre vite dans le sujet étant aussitôt aspiré par l’histoire de Farah qui nous conte son parcours de vie depuis sa 6ème jusqu’à sa 18ème année.

Et c’est loin d’être une période d’enfance et d’adolescence banale, bien qu’y figurent, comme pour chacun de nous, la candeur et la fraîcheur enfantine autant que les rebellions propres à l’adolescence.

C’est qu’elle est délurée la petite Farah et surtout cultivée même si elle vit dans une communauté à la fois libertaire et très protectrice d’un mini familistère, sis non loin de la frontière entre la France et l’Italie, en région méditerranéenne..

Frontière !… Ah certainement, il y a une frontière comme la plupart des frontières, invisible mais ô combien perceptible à cause des modes de vies qu’elle sépare, entre univers intérieur et monde extérieur…

Oui, il y a des endroits comme cela, où l’on vit en marge, loin des bruits du dehors, loin des turpitudes du temps présent assujetti à la modernité et la prégnance des technologies de pointe qui asservissent aujourd’hui des millions d’êtres humains. Des endroits où l’on se trouve en zone blanche non perturbée par les ondes électromagnétiques qui malmènent les organismes et azimutent les esprits hors les bonnes sphères…

Arcadie est bien ce lieu hors zone des mauvaises influences, hors zone des parasites de tous types et c’est aussi un Monsieur Arcady qui orchestre les conduites et les menées existentielles de « Liberty House » en… Arcadie… Il est le maître des lieux, un guide spirituel attentionné auprès de ses pensionnaires… tel un gourou !…

– Ah non ! s’écrie Farah, Arcady n’est pas un gourou !

– Ah bon !… pourtant comme pour tous ceux qui vivent dans cette communauté très particulière, il va l’influencer et même abuser d’elle à ses 15 ans…

– Oh l’immonde, le salaud ! vous exclamerez-vous…

– Mais non ! assure fermement Farah, Arcady ne m’a jamais violé, c’est moi qui le désirais et voulais coucher avec lui… alors, le moment venu, il m’a satisfait et m’a fait l’amour comme un dieu…

Vous l’avez compris, dans ce roman il y a du sexe et les scènes s’y rapportant vives en couleurs ne manquent pas de pittoresque et sont servies par des descriptions d’une haute teneur littéraire mais aussi, non dépourvues d’un langage particulièrement cru sans toutefois, être vulgaire, à travers certains passages.

Farah qui a l’esprit vif, s’exprime à partir d’un vocabulaire riche, épuré, s’appuyant sur des notions parfaitement documentées, toujours circonstanciées et ses répartis comme ses arguments ne manquent ni de spontanéité, ni de sagesse. Farah, c’est aussi, ce qu’on appelle une belle âme…

Poursuivant la lecture, vous tomberez immanquablement sur la question brûlante qu’elle se pose : Qui suis-je ? Voilà qui nous ramène au sexe, car elle vit, en son corps et en son âme, une transformation physiologique qui l’oriente vers la masculinisation…

Mais il n’y a pas que le sexe, il y a aussi et surtout des discours d’un niveau bien plus élevé, des réflexions qui nous sortent du carcan des idées reçues conformes à du politiquement correct et à cette bienséance sociale si rassurante et si éhontée, à la fois.

Avec des mots bien choisis et percutants au service des vérités qui dérangent, l’auteure, à travers le personnage de Farah et de ceux qui gravitent autour, dans ce roman inclassable, redistribue les cartes et ne manque pas de faire le procès de nos modes de vie contemporains, remettant en cause nos comportements et les motivations qui nous poussent parfois vers des galères innommables dont on attribue sans vergogne la responsabilité, bien plus aux autres, qu’à soi-même…

Page 421 :« j’espère que chiens et chats sont venus réclamer les restes, à coups de langue implorant ou de patte effrontée. Arcady a toujours dit qu’on était l’un ou l’autre : chien délirant de joie à la moindre faveur ou chat persuadé que tout lui était dû. Faîtes le test avec vos proches et vous verrez que ça marche bien. »

Comment, au moment de l’épilogue, ne pas évoquer ces paroles d’un chanson de Georges Brassens : « Mais les brav’s gens n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux… »

En fait, s’il est avéré que les chiens ne font pas des chats… que l’enfer c’est souvent les autres… pourquoi n’irions-nous pas chercher l’Éden en Arcadie ? Hein ! …

Faut voir … à vous de lire maintenant…

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Arcadie, cette utopie

Un roman étonnant, pétillant grâce à la jeune voix de la narratrice, mais qui n’a pas que des qualités, loin s’en faut. Trop de scènes osées, un langage de « jeunes » un peu ridicule dans les dialogues, mais par contre des questionnements intéressants sur l’humanité et la différence (pour en savoir plus, allez jeter un Å“il à Pamolico ;))

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coup de coeur

Il y a quatre ans, nous sommes partis en vacances avec une de mes grandes copines : Paula. À cette époque – parce que les choses ont un peu changé – Paula n’avait ni téléphone portable, ni ordinateur, ni voiture, ni montre à quartz. Elle refusait de mettre un pied dans un Mac Do, mangeait bio, luttait contre le nucléaire. Un de mes fils se souvient encore du jour où, tandis que nous attendions le train, il lui demanda de bien vouloir tenir quelques minutes son téléphone portable, le temps qu’il déballe un sandwich.
Elle refusa.
Tout net.
Il était hors de question que Paula tienne en main un appareil risquant de propager des ondes nocives.
Eh bien, je me dis maintenant, après avoir lu Arcadie, que Paula aurait presque pu rejoindre Liberty House, une sympathique petite communauté d’êtres sensibles allergiques aux ondes électromagnétiques, aux phtalates, au glyphosate, aux pesticides, aux sels d’aluminium, aux perturbateurs endocriniens, aux réseaux sociaux etc, etc… Une petite bande d’énergumènes antispécistes, amoureux de la nature, du grand air, prenant le temps de vivre, de raconter leurs rêves au petit déjeuner et de s’adonner aux plaisirs de l’amour libre.
Elle aurait rencontré toute une bande d’éclopés de la vie, d’adorables inadaptés au monde moderne, de semi-fous ou de semi-sages terrorisés par une époque dont certains aspects sont, avouons-le, pour le moins effrayants …
Une secte ?
Oui et non…
Bichette (allergique à tout) et Marqui (amoureux de Bichette), parents de la narratrice, ont littéralement fui leur maison pour se réfugier dans une bâtisse ancienne au coeur de la pinède, espèce de zone blanche, de société « idéale » et utopique coupée du monde et de ses fléaux.
Reçus à bras ouverts par une espèce de bon gourou généreux et consolateur, promettant paix, repos et bonheur sans WIFI, ils ne sont jamais repartis, heureux de cette vie protégée où l’on évolue nu, sans tabous et où l’on couche avec qui l’on veut du moment qu’il y a un minimum de réciprocité dans le désir !
Leur fille, Farah, la narratrice, a grandi à Liberty House, parmi les arbres et les écureuils, sans téléphone portable, ordinateur ou télévision. La pauvre ! Contrairement à beaucoup d’ados, il ne lui restait comme occupations que la lecture, l’observation de la nature et des hommes (les habitants de Liberty House!), la discussion et la réflexion. Évidemment, elle a échappé aux diktats de la mode : son corps a poussé sans qu’elle cherche à ressembler aux starlettes du web ni à qui que ce soit d’ailleurs.
À quinze ans, lucide, perspicace et d’une grande intelligence, elle analyse avec beaucoup d’humour, de dérision et de distance la situation hors du commun que ses parents lui ont imposée. Les portraits qu’elle fait des habitants de Liberty House sont hilarants : Arcady, le gourou, avec son blouson Sonia Rykiel en velours matelassé orange, Fiorentina, la cuisinière et « ses beignets de fleurs de courgettes, polenta aux cèpes, tourtes aux blettes et à la tomate sorrentine, flans de pleurotes, tagliatelles aux truffes, ravioles au pesto de roquette… », Kirsten, la grand-mère LGBT ; Dadah, son fauteuil roulant à sept mille euros et son maquillage outrancier ; Epifanio et son « baile sorpresa », sans oublier Victor, un brin obèse sous ses chemises à manches bouffantes et les autres, tous les autres : Nelly, Djilali, Malika, Daniel et Edo, le cochon truffier. Quelle équipe que tous ces extravagants à la fois ridicules et follement attachants !
Mais inévitablement, Farah finit par connaître les joies du collège et les chants tentateurs des sirènes du monde moderne. Elle s’interroge sur son corps (qui ne ressemble pas trop à celui de ses petites camarades) et sur son identité (qui suis-je… fille OU garçon? L’un ET l’autre ? Doit-on forcément choisir ? Difficile question du genre …)
L’intrusion d’un migrant dans cet éden va avoir des conséquences inattendues sur Farah, l’amenant à remettre sérieusement en cause la philosophie profonde de son gourou adoré.
Bon, je le dis, depuis que j’ai achevé la lecture de ce livre, je le crie haut et fort sur tous les réseaux sociaux, pour moi, c’est le meilleur : il est d’une drôlerie irrésistible – j’ai ri, tellement ri -, il est cinglant et tendre, sarcastique et bienveillant, tendrement ironique, pénétré de l’air du temps, humain, tellement humain et, pour couronner le tout, si bien écrit qu’on se délecte de chaque ligne… Et puis, quelle sensualité, quelle poésie dans l’évocation de cette nature éblouissante, des corps qui s’y épanouissent dans une espèce d’osmose parfaite !
Quant à la fin, magnifique hymne à la liberté et à l’amour, elle est d’une telle beauté qu’elle vous tord le ventre et vous brouille les yeux.
Un grand texte !

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coup de coeur

« Car tel est le problème dans ma nouvelle vie : la façon dont l’ancienne s’y invite. »

« Les romans, la poésie, le théâtre, c’est quand même un bon moyen de connaître des tas de gens, les auteurs, de façon très intime, et sans tout le tralala social qui brouille un peu les cartes. »
Quel drôle de phénomène, cette Emmanuelle Bayamack-Tam (ou Rebecca Lighieri). Je n’ai lu que « Si tout n’a pas péri avec mon innocence », et c’était il y a déjà cinq ans, mais je me souviens très bien du ton tout à fait personnel de son histoire. Dans « Arcadie », on retrouve beaucoup de choses, le côté Freaks (le bon côté, celui qui est de la famille de la quatrième saison d’American Horror Story, « Freak Show », celui auquel on s’attache tendrement), la narratrice qui bouscule, à la fois d’une naïveté charmante (elle ne comprend pas les surnoms qu’on lui donne, par exemple, Farrah-Facette ou Farah-Diba) et d’une très vive intelligence, et la famille dysfonctionnelle.

« Nous… Je prétends pouvoir le dire sans ridicule, sans que ce pronom renvoie à une structure exsangue et atrophiée comme le couple ou la famille. Je prétends même que mes débuts dans la vie font de moi une spécialiste du nous, contrairement à la plupart des gens qui n’y entravent que dalle et passent toute leur vie sans imaginer qu’on puisse être autre chose que soi. J’ai été nous dès l’enfance, ça aide. »
Parce que sa mère est intolérante à tout (en gros), Farah intègre avec sa famille à un très jeune âge une communauté, une sorte de phalanstère ou familistère qui prêche l’amour pour supporter l’angoisse de tout ce qui nous tue. Une zone blanche (sans ondes ni téléphones portables ni quoi que ce soit de potentiellement polluant) vers la frontière italienne. Elle y vit une enfance qui la ravit, maîtresse d’un domaine végétal paradisiaque. Elle est une bonne nature, de base, dévouée, exaltée et toute désireuse d’harmonie. Mais en grandissant son corps la trahit, et de disgracieuse elle va devenir autre. Mais quoi ? Elle ne sait pas…

Oui, quel drôle de phénomène que cette autrice. Elle ne cesse de surprendre son lecteur, adoptant plusieurs points de vue, lui montrant qu’on peut regarder les choses depuis tellement d’angles. Dans le style, même, on passe de : « la rémanence de son acrimonie » ou encore « l’exhalaison de toutes les fièvres mauvaises dont elle avait brûlé en ces lieux mêmes » (et un grand usage du mot aboulie) à « c’est quoi les bails » ou autres expressions horribles en usage chez les ados (pas vu de « malaisant », ouf), et tout passe, bien sûr, on reprend la lecture avec entrain en se demandant sans cesse ce qui va arriver.

C’est très entraînant, aussi drôle que tragique, profond et intéressant, déstabilisant et impertinent et surtout, très réussi.

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