Autour du monde
Laurent Mauvignier

Minuit
septembre 2014
384 p.  19,50 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
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coup de coeur

Le monde comme il va

J’irai droit au but : voici un roman comme je les aime ! Un roman généreux, un roman qui voit grand et qui a du souffle, un roman qui nous ouvre les portes du monde, tout en invitant à réfléchir sur sa nature et sur notre place en son sein.

En nous projetant successivement dans la vie de quatorze personnages saisis en divers points du globe, Laurent Mauvignier nous offre des instantanés qui composent comme un vaste portrait de notre monde.
Loin d’apparaître comme un patchwork hétéroclite et désordonné, ce récit prend au contraire une profonde cohérence par le truchement d’un événement dramatique relayé en temps réel par les médias de tous les continents. Le livre s’ouvre en effet en mars 2011 au Japon sur la catastrophe de Fukushima, dont les autres personnages vont avoir connaissance – ou pas, s’ils sont eux-mêmes happés par des événements graves d’ordre personnel ou collectif – et qui va les toucher – ou pas.

Ce faisant, Mauvignier distille de nombreux éléments révélant à quel point nous vivons dans un monde de plus en plus globalisé, avec des références culturelles et commerciales communes, et où les pays émergents ne sont guère plus que des bassins de ressources mises à la disposition des pays riches, soit en constituant le décor paradisiaque des vacances de leurs habitants, soit en fournissant une main-d’oeuvre bon marché qui permettra aux multinationales de toujours plus prospérer. Qu’il s’agisse du clown offrant son piètre sourire à l’entrée des MacDo, des baskets Nike que l’on voit jusqu’aux pieds d’Africains vivant dans des villages traditionnels, des parcs d’attraction Disney ou des iPhone qui permettent de téléphoner, prendre des photos aussi bien que d’écouter de la musique, ce sont autant de produits qui parlent à chacun de nous, qu’on y ait financièrement accès ou non, d’ailleurs, et qui participent d’une certaine uniformisation du monde.

La structure du texte traduit parfaitement cette notion de mondialisation : nul chapitre, pas de césure, pas de frontière nette. Seule la reproduction d’une photo en noir et blanc permet de repérer visuellement le tournant pris par le récit, très habilement construit sur des fondus-enchaînés.

Tout y est : la vaste palette des sentiments et des comportements humains, les petits gestes de la vie quotidienne aussi bien que les conflits internationaux, dont les moindres détails nous sont livrés chaque jour à la radio, à la télévision ou dans les journaux. C’est pourquoi on entre si facilement dans ce livre où tout nous semble si familier.

Avec pour matériau l’infinie diversité du monde, Mauvignier parvient à composer une image cohérente et saisissante, souvent touchante, parfois bouleversante et toujours empreinte d’humanité. Servi par une écriture précise et fluide, ce roman tout à la fois ambitieux et humble s’adresse à chacun d’entre nous. Il serait vraiment dommage de passer à côté !

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coup de coeur

Excellent.

Quand on lit les articles mis en lien quant à ce roman sur le site des éditions de Minuit, on a du mal à se faire une idée de ce qu’est ce livre, au fond (et aussi – et surtout – ça paralyse toute tentative de faire un billet construit à son sujet), alors qu’en fait c’est très simple : à partir du séisme gigantesque qui a secoué le Japon en mars 2011, il donne à voir des gens très différents en des lieux aux Antipodes, au même instant mais pas du tout au même moment de leur vie. Roman choral par excellence (ou recueil de nouvelles, aussi), les liaisons sont fluides (et en même temps abruptes) (matérialisées par une photo), et ce sont des morceaux de vie qui viennent happer le lecteur, c’est un tourbillon, à chaque fois on croit que le suivant va être en trop, qu’on a déjà tellement plongé dans ceux qu’on vient de lire qu’on ne pourra pas s’intéresser autant aux autres et puis ça nous reprend pareil, entièrement. Cette lecture m’a empli la tête d’images fortes, qui vont rester, ce vieux professeur très abîmé par Alzheimer qui capte l’attention de toute une salle de restaurant en expliquant, en détails, enjoué, ce qu’est un séisme; ces deux vieux italiens prêts et pas prêts en même temps à faire « le » voyage pour le casino à la frontière, l’inversion du rapport de force entre eux, le moment du café où tout s’inverse; ce jeune américain malsain et inquiétant qui déboule chez son frère et le matin où sa belle-soeur est terrifiée à l’idée de pousser la porte du débarras où peut-être il aurait trouvé refuge; ce jeune papa coincé dans un embouteillage et qui cherche le moment précis où sa femme a perdu la raison… C’est très fort, ça donne une impression marquante, comme si l’indifférence, au final, la façon dont chacun, quel que soit son pays, son milieu, son âge, est très seul dans son petit coin avec ses petites questions et se fout totalement de qui arrive ailleurs. Là-bas, où il n’est pas. C’est évidemment aussi très bien écrit, maîtrisé, avec un usage abondant (et réussi) de ma chère prolepse, et une grande finesse, beaucoup d’éléments sont simplement suggérés, chaque phrase ouvre sur plus grand qu’elle, sur plus. Excellent.

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coup de coeur

Un jour, dans le monde.

Laurent Mauvignier est un humaniste qui observe, écoute, sonde les consciences pour transcrire les émotions et les sensations qui les traversent dans un style juste, toujours au plus près de son sujet. Dans son dernier roman, le tsunami qui a touché le Japon en 2011 est la toile de fond sur laquelle se déroulent des histoires d’hommes et de femmes de tous horizons.

Guillermo, un baroudeur mexicain, est en voyage au Japon où il rencontre la fascinante Yûko. Lorsque tous deux se rendent dans une petite ville de pêcheurs, ce 11 mars 2011, ils sont encore si fébrilement immergés dans la séduction et le désir qu’ils ne comprennent pas ce qui arrive, d’abord un séisme d’une magnitude inégalée, suivi d’un tsunami qui emporte tout sur son passage, faisant des milliers de victimes et laissant un pays exsangue en quelques minutes. Ces deux-là, comme les autres personnages qui vont se succéder sans temps de pose dans quatorze instantanés narratifs, s’enivraient dans leur bulle, trop étourdis d’eux-mêmes alors qu’autour le monde s’effondrait.
Laissant la côte Pacifique du Japon compter ses morts, l’auteur nous entraîne ensuite dans un tour du monde en quelques récits qui sont autant de fragments du macrocosme que forme le roman : un jour, plusieurs lieux, différents protagonistes. Les pièces de cette marqueterie sont liées les unes aux autres par le style, une phrase qui s’étend et nous surprend, alors que rien ne rapproche les situations, si ce n’est cette information qui se répand en sourdine, par écrans ou écouteurs interposés ; elle avise la planète du drame japonais, soluble dans le quotidien et la banalité des histoires personnelles qui manquent de temps et d’espace pour faire une place à l’empathie.
Frantz, célibataire, a gagné une croisière en mer du Nord, et erre sur le paquebot au luxe bon marché à la recherche d’une aventure. Cinq jeunes stambouliotes sont en vacances aux Bahamas pour nager avec les dauphins, deux Chiliennes se retrouvent à l’aéroport de Tel-Aviv, en pleine alarme terroriste, trois couples d’Australiens avides de sensations fortes font un safari en Tanzanie, pendant qu’un Anglais qui refuse sa négritude s’offre une échappée à Rome avec la petite amie de son fils… Tout le monde veut partir, tailler la route, mais les habitudes ont la vie dure, les frontières sont toujours présentes entre soi et l’autre, les identités ne se fondent pas en une grande confraternité, mais s’exacerbent en comportements méfiants et égocentriques : l’ailleurs n’est que l’aller vers le déjà-vu et la solitude. Chaque récit possède sa singularité, sa tonalité tour à tour comique, surréaliste, tragique : une diversité qui reflète le monde tel qu’il va. Souvent, la beauté affleure dans un détail, une émotion particulière vécue à un instant donné où deux âmes se rejoignent, comme à Moscou un couple interdit éprouve l’amour et l’abnégation.

Laurent Mauvignier est un tisserand dont le mouvement ample se gonfle et s’amortit au fil des histoires, avec, dans la trame générale, les échos de la planète web. Il réussit le double pari d’installer son lecteur dans chaque épisode, tout en le bousculant subrepticement afin qu’il ne soit pas non plus pris au piège de cet oubli des catastrophes qui le dépassent.

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