Avant que j'oublie
Anne Pauly

Verdier
août 2019
137 p.  14 €
ebook avec DRM 8,49 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

« Avant que j’oublie » de Anne Pauly
est le coup de coeur de La Maison de la presse de Caussade
dans le q u o i  l i r e ? #86

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« Avant que j’oublie » de Anne Pauly
est le coup de coeur de La Maison de la presse de Caussade
dans le q u o i  l i r e ? #84

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coup de coeur

« J’ai cru mourir d’amour et de mélancolie… »
Je reprends ici une phrase du roman pour dire à quel point ce livre m’a profondément touchée.
Oui, j’ai vraiment senti la présence d’une voix très personnelle, d’une intense émotion et d’une sensibilité à fleur de peau qui m’ont bouleversée.
Et puis, parfois, vous le savez bien, l’amour que l’on a pour un livre naît d’une rencontre : des mots qu’on peinait à trouver et qui soudain sont là, devant vos yeux, comme par magie, et la chose incroyable, c’est qu’ils disent précisément, à la nuance près et avec une très grande justesse, l’émotion qui a été la vôtre ou qui aurait certainement été la vôtre dans un moment semblable…
Et ces mots, ces phrases, on sait tout de suite qu’on va avoir un impérieux besoin, tôt ou tard, de s’y replonger, de les relire, de s’y accrocher désespérément en cas de tempête…
Le coup de coeur que l’on a pour un roman vient aussi de petits détails, de petites remarques (très tristes ou très drôles) qui nous font aimer l’auteure parce qu’on se sent furieusement sur la même longueur d’onde… Oui, c’est une sensibilité commune, une façon de concevoir la vie, l’amitié, l’amour, les relations aux autres, la mort, une espèce de feeling, un truc qui passe, qui nous happe et nous touche de façon très intime…
Et puis, bien sûr, c’est aussi une écriture, un style, une façon de parler du monde, des êtres et des paysages… En effet, les mots d’Anne Pauly claquent, pulsent, vont dans les coins et les recoins, ne tournent jamais la tête, n’ont peur de rien ni de personne. Ils ont la tenue des gens qui savent rester discrets et l’oralité de ceux qui disent ce qu’ils ont à dire.
Il y a aussi cet humour, cette énergie du désespoir qui est là, toujours, et qui aide à supporter le monde, car « chacun se tient en vie selon ses moyens » et rire du plus triste est peut-être la meilleure façon de tenir la tête haute et de continuer d’avancer.
Et là, on se dit que ce livre ne nous quittera jamais parce qu’on en aura toujours besoin, oui besoin, comme d’un aliment, d’une musique, d’un lac dans lequel se jeter en plein été parce qu’on a trop chaud.
Un indispensable, quoi. Un nécessaire. Un vital.
Bon…
Reprenons.
« Avant que j’oublie » (ah ce titre…) est un roman. C’est écrit au début. Mais dans ce roman, la narratrice s’appelle Anne Pauly et son père Jean-Pierre Pauly. Alors, évidemment, on est fortement tenté d’y voir une autobiographie. Bien sûr, il y a de nombreux éléments qui correspondent sans doute à la vie de l’auteure, mais ils sont, je pense, passés par le filtre de la littérature, de l’écriture, du souvenir aussi…
Ce père qui meurt dans les premières pages est un homme qui n’a pas une bonne réputation : on dit de lui qu’il n’a pas toujours été très agréable avec sa femme (vous noterez l’euphémisme), ni avec ses enfants d’ailleurs (le frère d’Anne semble lui en vouloir beaucoup.) Dans le fond, c’est un personnage que l’on découvre au fur et à mesure des pages, que l’on apprend à connaître, j’allais dire à aimer (j’exagère peut-être), en tout cas un être original que le regard de sa fille finit par rendre presque attachant.
Unijambiste, alcoolique, attiré par les ouvrages de spiritualité orientale, il n’a pas été facile à vivre et après sa mort, le frère d’Anne n’a qu’une hâte : que les obsèques aient lieu, que la maison soit vendue et qu’on n’en parle plus.
Mais pour Anne, c’est plus compliqué. Comme, Bartleby, elle « préférerait ne pas. » On sent que malgré toute sa colère et son agacement, la narratrice aime ce père dont elle se sent proche, dont elle se sent être la fille et surtout dont elle a besoin pour vivre. L’enterrer, lui dire adieu, trier les objets, liquider la maison et continuer à vivre sans lui ne vont pas être simples, il va falloir du temps, beaucoup de temps. Il va falloir aussi prendre sur soi. En triant ses objets et en lisant quelques lettres, elle va découvrir un homme qu’elle ne connaissait pas vraiment mais dont elle sentait qu’il n’était pas seulement ce qu’il laissait paraître.
« Sa vraie personnalité, enfin débarrassée des hardes puantes de l’alcool, était ressortie : un contemplatif fin mais gauche, gentil mais brutal, généreux mais autocentré, dévoré par l’anxiété et la timidité, incroyablement empêché. Un touriste de la vie. Contre toute attente, le monstre était humain, vulnérable, attachant. »
Écrire sur lui, sur ce père qui n’est plus, c’est révéler, dévoiler une forme de vérité, la sienne, celle que les gens n’ont pas vue ou celle qu’il n’a pas voulu montrer.
Écrire sur lui, c’est dire au monde qui il a été. Et le dire avec une tendresse infinie…
Un bel hommage qui permet l’apaisement, la réconciliation et peut-être même, enfin, l’amour. Un amour total.
Un livre sensible, fort, drôle aussi, très drôle même, et d’une très grande beauté.
Il m’a bouleversée.
Et je l’aime.

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Les signes des défunts

Ce premier roman est une véritable pépite. L’auteure y raconte la mort et le deuil de son père despotique avec une écriture débordante d’énergie qui donne à l’ensemble un tour tragi-comique. Avec une grâce et un humour extraits du désespoir, la jeune femme apprend l’art du souvenir et l’attention aux signes. On en ressort bouleversé et admiratif.

Il est mort à l’hôpital de Poissy une veille de Toussaint. Alcoolique, violent, unijambiste, mari jaloux et tyrannique, le « vieux père carcasse » ne laisse pas vraiment de bons souvenirs à ses deux enfants, Anne et Jean-François. Entre colère et chagrin, le frère et la sœur accomplissent les formalités d’usage ; la préparation des obsèques, les négociations aux pompes funèbres, la visite au curé laissent peu de place aux émotions. Mais lors de l’enterrement, la jeune femme est surprise par le nombre d’inconnus qui remplissent l’église et évoquent son père en homme discret, contemplatif et délicat. Elle qui l’a connu égoïste et exaspérant le découvre attachant. Plus tard, l’hébétude et le chagrin surgissent en même temps qu’affluent les souvenirs quand il faut vider la maison paternelle. En triant les papiers, en inventoriant la bibliothèque, en ouvrant les tiroirs du bureau, Anne saisit par fragments la personnalité double de son père, amoureux des livres, des haïkus et de spiritualité, et sa mémoire crispée par une rage lointaine autorise enfin les réminiscences heureuses au milieu de la folie des jours ordinaires. La mélancolie et le sentiment de solitude apparaissent alors avec la conscience d’être passée à côté de la vérité de ce père à la fois infernal et vulnérable, insupportable et touchant. Mais au milieu du désarroi, l’humour et l’ironie tiennent le pathos à bonne distance ; le tragique est balayé par un flux nerveux, et le rire perce à travers les larmes. Selon l’auteure, « la vraie mort […] survient quand commence l’oubli », or ce tombeau de mots restitue la complexité d’un homme entre déchéance et grandeur, le plus bel hommage qui soit. Remarquable.

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