Belle infidèle
Romane Lafore

Stock
Arpege
août 2019
283 p.  19,50 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu
coup de coeur

L’absente

Julien Sauvage n’a pas le choix : il se doit de traduire « Rebus », un best-seller italien d’Agostino Leonelli, encensé par la critique. Pas le choix puisqu’il est l’élu – une éditrice parisienne lui a fait confiance – et qu’il se sent particulièrement flatté de cette mission. Il vit sans élan, fait tout pour ne pas écrire le roman qu’il a en tête et surtout, cette longue traduction inespérée lui fera peut-être oublier pour un temps, Laura, qui l’a quitté trois ans auparavant. Alors ce héros nonchalant, pour qui l’oubli de cette fille solaire est inconcevable, s’attaque à la traduction d’un récit enivrant. Il finit par s’enfermer dans l’ardeur de sa traduction, se prenant parfois au jeu délicieux – mais dangereux – de sublimer la version finale, à l’instar de ces « belles infidèles », ces traductions sans contrainte. À mesure qu’il progresse, les personnages de « Rebus » s’effacent pour laisser place à la réalité: un fils désabusé dont le père vient de mourir, laissant derrière lui un passé sombre et mystérieux, une jeune femme libre et séduisante, débarquant de nulle part. La propre histoire de Julien se déroule sous la plume de Leonelli, et ces coïncidences brutales sont comme les pièces d’un puzzle qu’il laisse nerveusement s’imbriquer les unes dans les autres. Rachel est Laura, le doute n’est plus permis. Même caractère impétueux, même fougue au cœur des moments les plus intimes, mêmes grains de beauté disséminés sur le ventre. Avec des protagonistes qui ne lui appartiennent pas, créés par un autre, le héros voyage à nouveau à Rome ou dans les Pouilles, là où il a passé les plus belles années de son existence aux côtés d’une femme au chignon blondi par le soleil, qui a fini par le briser.

Mais ce serait si simple, de sombrer dans cette savante et passionnante mise en abyme. De s’abandonner complètement. Laura sublime le roman par son absence. Elle est celle qui n’apparaît jamais, qui fait tourner les têtes et crever les cœurs. Romane Lafore semble adorer brouiller les pistes : elle plonge le lecteur dans une histoire d’amour tourmentée, où le dénouement n’est pas celui que l’on imaginait… Au cœur de son écriture jubilante, désopilante, s’entrechoquent des mots italiens, français, anglais, qui nous conduisent à apprécier la langue et ses remous.

Qui, mieux qu’une traductrice aurait pu écrire un roman évoquant plus que les difficultés de la traduction, les silences, les rages et les soupirs qui se cachent derrière ces travaux ? Par transgression, Romane Lafore se glisse dans la peau d’un homme et écrit sur l’autre fantasmé, sur cet être distant et différent que l’on appréhende et imagine toujours, et sur les vertiges du premier amour.

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