Buvard
Julia Kerninon

Rouergue
La Brune
janvier 2014
200 p.  18,80 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 
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coup de coeur

la création comme une intrigue

Lorsqu’il entre chez Caroline, Lou ne s’attend pas à y rester. Étudiant, il n’est venu que pour un simple article, pour tenter de percer le mystère de l’écrivaine qu’il adule. Il a lu tous ses livres. Il a désormais besoin de savoir qui elle est. Et, chose rare : elle accepte. Elle le reçoit alors même qu’elle ne voit plus personne, ne donne plus d’interviews –et surtout pas aux journalistes, qu’elle fait déguerpir à coups de talons hauts ou de feux de carabine. À 39 ans, la brillante auteure précoce, connue pour ses premiers romans sulfureux, vit recluse dans la campagne, au cœur du Devon. Et c’est dans cette maison anglaise que la scandaleuse commence à se livrer. Pendant qu’elle parle, de sa voix rauque, éraillée -une voix de fumeuse- Lou écoute et enregistre. Le soir, ils se couchent, chacun dans une chambre, et le matin, ça continue : Caroline parle, Lou s’imprègne, fasciné. Sans jamais l’interrompre, mais avide de percer le secret du génie, le jeune homme se tait. Peu à peu, il l’apprivoise. Elle lui donne sa confiance. Inexorablement, les souvenirs de Caroline se mêlent aux siens. Tous deux sont issus d’un milieu difficile, défavorisé, misérable même, et leurs destins se mélangent, se retrouvent sans cesse. La mémoire de l’un dessine celle de l’autre, remontant à la surface comme un animal traqué. Et leurs bribes de passé sont tout aussi violentes, choquantes, tragiques.

 Plus que l’histoire d’une rencontre entre un jeune thésard homosexuel et une star de l’écriture, « Buvard » est le récit d’une confrontation. Pendant neuf semaines, presqu’en huis clos, il partage sa réclusion, et apprend surtout à vivre avec elle. C’est l’été. Il règne une chaleur torride. Les mots de Caroline transpirent, gouttent, coulent, jusqu’aux oreilles de Lou. Comme un assoiffé, il absorbe, il avale ses paroles. Ils ont chacun des secrets, chacun un passé douloureux qui les ronge et les détruit. Reste à se relever, à affronter la vérité, à s’éponger le front. Julia Kerninon nous dévoile l’écriture triomphante, celle qui résulte du passé cruel, qui invite à l’introspection. La violence de la langue de son héroïne cache des secrets enfouis, qu’elle ne veut pas dévoiler. Pourquoi est-elle arrivée dans cette maison ? C’est la question à laquelle Lou doit répondre à tout prix. Une à une les réponses tombent, comme des couperets. En se contemplant dans le passé de l’écrivaine, le jeune homme fait face à sa propre vie.

Julia Kerninon parvient à décrire le formidable processus de création littéraire, et la fièvre qui s’empare de l’écrivain, haletant, face à sa machine à écrire. Longtemps après avoir refermé « Buvard », ses mots résonnent encore, comme une éternelle gueule de bois. 

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Charme fou

Par hasard (comme si ça existait), Lou (24 ans) ouvre un jour un roman de Caroline N. Spacek (39 an), écrivain ultra célèbre publiée dans le monde entier; il lit alors tous ses livres (onze) d’une traite, et ne peut faire autrement que de la contacter. Par extraordinaire, elle accepte de le recevoir, alors qu’elle vit recluse dans la campagne anglaise. Il pensait rester un jour ou deux, il passera un été entier à ses côtés. Que s’est-il passé, pour lui, pour elle, entre eux, avec nous, leurs lecteurs ? C’est assez indicible, difficilement exprimable, comment parvenir à formuler une parcelle de l’admiration totale, du choc foudroyant que j’ai ressenti en lisant ce premier roman (premier roman ?!) (!!) sans le réduire à une histoire, quand il est si riche, si plein… Huis-clos entre deux êtres qui communient à un niveau aussi ténu qu’ancré en leur tréfonds (leur enfance abominable), ce roman brasse des thèmes multiples et offre des moments éblouissants, souvent relatifs à la création littéraire; Marine Landrot, pour Télérama, a cette phrase : (…) ce livre émeut par sa façon d’enregistrer les pulsations cardiaques des êtres et de saisir les traces qu’elles ont laissées autour d’elles. Je ne peux pas dire mieux ! Ce livre renverse, aussi, parce qu’il questionne la place de la littérature dans une vie, et montre cette place sous ses deux faces : littéralement, elle sauve et elle détruit. Le tout dans une prose musclée dont le charme est immédiat, et persiste.

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