Ce qui nous sépare
Anne Collongues

Actes Sud Editions
mars 2016
176 p.  18,50 €
ebook avec DRM 6,99 €
 
 
 
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coup de coeur

Un concentré d’humanité, le temps d’un trajet.

Belle maîtrise pour ce premier roman. Une langue fluide, des personnages fouillés à la psychologie fine, un fil conducteur original. Je me suis régalée, portée par le talent narratif de l’auteure qui dessine à l’aide de traits fins un petit monde de gens ordinaires et pourtant singuliers. Vous, moi, ceux que nous côtoyons tous les jours. Passionnant. Un wagon de RER, quoi de plus impersonnel ? Sur fond de paysages de banlieues-dortoirs, on s’y croise sans se voir, on y affiche un masque qui tient les autres à distance, on y est anonyme parmi les anonymes. Et pourtant, derrière les visages lisses et fermés, il y a des vies, des désirs, des souffrances. Sous les bonnets et les casques audio, des pensées affluent, s’agitent, s’étirent. Dans ce wagon, ils sont sept passagers, ne se connaissent pas, empruntent ce train pour des raisons et dans des états d’esprit éminemment différents. Marie, Laura, Alain, Cigarette, Chérif, Liad, Franck. Au gré des mouvements et des arrêts, leurs esprits vagabondent et leurs vies défilent entre volonté de fuir, espoir de renouveau, tristesse, regrets, peurs, envies d’ailleurs. Ce wagon les rassemble pour un court moment et leur offre une sorte de sas de décompression, une parenthèse hors du temps et loin de leurs contraintes si pesantes. Comme un refuge. L’occasion de faire le point, de repenser à ce qui aurait pu être, à ce qui peut encore être, pourquoi pas ? Anne Collongues nous offre un concentré d’humanité en posant un regard juste sur toutes ces vies rassemblées et pourtant livrées à elles-mêmes. Car chacun se retrouve seul face à ses choix. La communauté n’est qu’une illusion. Chacun peut sentir sur ses épaules un fardeau de culpabilité qu’il est seul à supporter. Au cours de ce trajet, certains destins pourront peut-être se modifier, des décisions se prendre, mais la solitude, elle, demeure. Même si le sujet et le traitement sont très différents, je n’ai pu m’empêcher de penser pendant toute ma lecture au livre de Pierre Charras, Dix-neuf secondes qui continue à résonner en mois malgré les années. Je retrouve ici cette façon de soudain donner vie à celui qui nous semble anonyme au point que nous ne le regardons même pas. Celui avec lequel nous partageons pourtant la même planète. Cette façon aussi d’interroger le principe de destin. Et si… ?. Et si, dans ce wagon, quelqu’un avait parlé avec Marie ?… Avec beaucoup de finesse, ce livre nous parle de notre solitude au milieu de la multitude. Et laisse planer un fin voile de tristesse sur ces quelques destinées à peine entrevues. C’est joliment fait, très convaincant et sacrément agréable à lire. « On peut essayer d’interpréter les apparences, y associer des occupations, des caractères, mais ce que chacun pense, ressent, rêve, toute cette agitation invisible, cela reste mystérieux et inaccessible, aussi intime soit l’autre (…). »

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