Check-point
Jean-Christophe Rufin

Gallimard
avril 2015
388 p.  21 €
ebook avec DRM 14,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

Le roman noir de l’humanitaire

Avec un tel talent de conteur, Jean-Christophe Rufin pourrait presque nous raconter le bottin téléphonique, on serait captivé. Il parvient à faire d’un « huis-clos roulant » comme il le définit lui-même, un roman d’aventures et de suspens qu’on ne lâche pas avant la fin et dont le questionnement résonne longtemps, sans que l’on se soit même aperçu en cours de lecture à quel point le message lui tenait à cœur.

Ce qui est intéressant avec Jean-Christophe Rufin c’est que l’on n’a jamais le même livre, ni la même écriture. Il passe de la fresque historique (L’Abyssin, Rouge Brésil, Le grand Cœur…) au roman d’anticipation (Globalia) ou plus contemporain (Katiba, Le parfum d’Adam…), fait un détour par le récit de voyage (Immortelle randonnée) ou le conte philosophique (Le collier rouge). A chaque fois, il offre une vision du monde faite de la richesse et de l’éclectisme de son expérience (médecin, humanitaire, ambassadeur, académicien…) mais surtout pétrie d’humanité.

« Check-point » c’est un peu le roman noir de l’humanitaire. Celui qui bouscule les idées reçues, casse le mythe et confronte les « bons sentiments » à la sévère réalité du terrain. Si l’auteur a choisi de dérouler son intrigue pendant la guerre de Bosnie en 1995, c’est par souci de ne pas susciter de comparaison avec des situations en cours et aussi parce qu’il connaît bien le conflit et le pays en question. Mais l’histoire serait la même sur n’importe quel autre territoire. Toujours ces mêmes camions remplis à craquer de ballots de vêtements et de cartons de nourriture, convoyés par des volontaires engagés chacun sur la base de ses propres convictions. A moins que ce ne soient des illusions ?

Les cinq « convoyeurs » dépeints par l’auteur auront un long voyage pour en apprendre autant sur leurs petits camarades que sur eux-mêmes. Découvrir que les démarches les plus altruistes peuvent cacher les motivations les plus diverses et surtout se heurter à un terrible constat d’impuissance. Le personnage de Maud, la seule femme de l’équipe en fait l’amère expérience. Mais elle n’est pas la seule. Et c’est toute la magie d’un Jean-Christophe Rufin que de savoir montrer les degrés différents de la désillusion chez une jeune femme pleine d’envie de bien faire, chez deux anciens militaires de l’ONU habitués à l’action ou encore chez un pro de l’humanitaire qui ne sait plus vraiment au juste pourquoi il est là. Et tout ça en finesse, sans jamais forcer le trait.

A la fin, la question est posée, et elle est d’une actualité terrible : faut-il continuer à mener des opérations humanitaires qui visent à assister des victimes ou donner les moyens à ceux qui se battent de vaincre pour stopper une fois pour toutes les hostilités et épargner des vies ? Question cruciale, posée par quelqu’un qui connaît bien le sujet et qui a le mérite de le mettre à la portée de réflexion de tout un chacun grâce au prisme romanesque de ce thriller implacable.

Retrrouvez Nicole G sur son blog    

partagez cette critique
partage par email
 

partagez cette critique
partage par email