Civilizations
Laurent Binet

Grasset
août 2019
384 p.  22 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

L’Histoire alternative

Dans ce livre audacieux en forme d’uchronie, Laurent Binet réécrit l’Histoire. Avec des si, il redistribue les cartes et imagine une histoire moderne qui commence autour de l’an 1000. En effet une saga islandaise raconte que les périples des Vikings les ont conduits à dépasser l’Amérique du Nord en direction du sud, vers Cuba, d’où ils sont repartis pour gagner le Pérou. Partout où ils passent, les explorateurs nordiques apportent le fer mais aussi les épidémies, entraînant un métissage et un syncrétisme culturel et religieux. Quatre cents ans plus tard, le journal de Christophe Colomb atteste de l’échec de son expédition ; les Espagnols se font massacrer par les peuples autochtones, et l’explorateur génois n’en reviendra pas. Avançons encore dans le temps : à la faveur d’une guerre fratricide entre les empereurs péruvien et équatorien, ce dernier fuit par l’Atlantique pour échapper aux troupes ennemies. C’est ainsi que l’Inca Atahualpa arrive à Lisbonne au lendemain d’un terrible tremblement de terre qui a détruit la ville. Chargé d’or et accompagné de femmes presque nues, de nobles et d’artisans, le Fils du Soleil s’installe dans la ville avant d’être présenté à Charles Quint, à qui il expose ses intentions colonisatrices. Sur fond de guerre de religion (la chrétienté de Rome contre le culte du Soleil allié aux minorités persécutées), Atahualpa finit par s’imposer, avant de conquérir l’Europe, nouant pactes et alliances avec les différents pays et territoires qui la composent alors, jusqu’à ce que le Mexique s’en mêle… à charge pour l’auteur espagnol Cervantes d’écrire cette nouvelle histoire entre politique et littérature !

Doté d’une grande érudition historique, Laurent Binet excelle dans la parodie, l’ironie et les parallèles littéraires. On lui pardonnera parfois un manque d’incarnation pour retenir le plaisir de lecture de ce livre inventif, habile et protéiforme, tour à tour saga nordique, journal intime, roman épistolaire, rapport de guerre et roman picaresque.

 

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coup de coeur

Et si… Foisonnant, virevoltant, jubilatoire

Et si on refaisait le monde… Et si…
Et si Christophe Colomb n’avait pas découvert l’Amérique, et si… C’est le postulat de départ du dernier livre de Laurent Binet.
Une uchronie où l’auteur semble s’être amusé à jouer en transposant certains évènements, en parodiant, en inventant.
Vous me feriez bien une petite valse à l’envers, allez, hop !! les filles d’Erik le Rouge voguent en descendant vers le sud, conquièrent des contrées où les habitants meurent après quelques mois de cohabitation. Et oui, ils possèdent ces fameux anticorps qui les protègent de maladies et leurs permettent de gagner des pays inconnus et puis, la tribu de Freydis possède le fer, ce qui change beaucoup de choses. Les populations se mélangent au gré des amours et des naissances.
Dans son journal (quelque peu différent de l’original!) Christoph Colomb raconte qu’il est prisonnier du roi Taïnos, et enseigne le castillan à sa fille, Higuénamota -nous verrons plus tard l’utilité de cet apprentissage-.
Tout n’est pas d’or au pays des Incas. Huascar qui règne à Cuzco, l’empire des quatre quartiers défait son demi-frère Atahualpa. Ce dernier quitte Cuba sur les caravelles de Christophe Colomb, prend la direction de l’est et se retrouve à Lisbonne, lors d’un tremblement de terre. Ils sont recueillis par des tondus qui vénèrent un dieu clouté (traduction : dans un monastère tenu par des moines).
Fidèle d’entre les fidèles, la princesse taïno Higuénamota, vous savez celle qui a appris le castillan avec Colomb, sait aussi bien enflammer le regard que négocier habilement. L’inca Atahualpa, personnage omniprésent, omnipotent et quelque peu sage, sans se départir de ses traditions, mène la danse. Il défait Charles Quint, prend le pouvoir en Espagne. Atahualpa a du génie et impose sa façon de gouverner et régenter la vie des populations. Question religion, l’empereur est tolérant à condition que l’on vénère également son dieu Soleil. Il continue sa progression vers l’est et fonde un Empire. Mais… les mexicains, aidés des anglais vont jouer un bel air de carioca à Atahualpa

Les incas découvrent et adorent un certain breuvage noir qui enivre, le vin bien sûr. Nos moutons deviennent, c’est quasi logique, de petits lamas blancs, les tondus lisent des livres qui parlent.….
A Tolède, une réécriture du massacre de la Saint Barthélémy avec celui des catholiques de Tolède par Atahualpa et ses amis. Une autre vision du camp du Drap d’Or…
Je me demande si Laurent Binet ne profite pas de l’occasion pour évoquer, appeler de ses voeux, une société plus égalitaire, plus humaine comme celle qu’Atahualpa met en route avec le soutien des pauvres, des hérétiques selon la doctrine catholique
L’écriture imagée, imaginative de Laurent Binet fait que je ne me suis jamais ennuyée à lire ce livre jubilatoire. Une fois refermé, cette uchronie prend une autre dimension et amène à réfléchir sur notre monde actuel. Parce que, en tout premier, il y a le plaisir jubilatoire de la lecture, puis vient la réflexion.
Ce que je viens d’écrire est plat, très loin de la jubilation des mots de ce livre qui parle. J’espère vous avoir donné, un tout petit peu, l’envie de le lire.

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