Dans l’eau je suis chez moi
Aliona Gloukhova

Verticales
janvier 2018
128 p.  13 €
ebook avec DRM 9,49 €
 
 
 
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coup de coeur

Porté disparu

Voici le premier roman de cette auteure d’origine biélorusse. En novembre 1995, le père d’Aliona Gloukhova disparaît dans le naufrage d’un voilier en Méditerranée. Son corps n’ayant jamais été retrouvé, le deuil est impossible. Dans une écriture fragmentaire et sensible, sa fille raconte l’absence et compose le portrait de cet homme insaisissable.

Youri était physicien. Atteint de dipsomanie, véritable fléau culturel en Biélorussie, il lui arrivait de disparaître pendant des jours lorsque survenait une crise ; Aliona s’en souvient qui, petite, devait parfois empêcher son père de sortir de l’appartement pour s’acheter de l’alcool. Quand il projette un voyage en Inde par voie de mer avec des amis de hasard, c’est un vieux rêve qu’il se donne enfin les moyens de réaliser, mais qui tourne à la tragédie lorsque leur voilier fait naufrage au large de la Turquie. Ses deux coéquipiers en réchappent tandis que Youri n’est pas retrouvé, disparu en mer avec sa légendaire veste multipoches, son passeport et son argent. Toutes les conjectures sont permises : l’homme, pourtant excellent nageur, est peut-être mort noyé, peut-être s’est-il laissé emporter par les flots sans lutter, mais peut-être pas ; peut-être a-t-il saisi cette occasion pour partir définitivement et changer de vie.

Aliona Gloukhova tourne le mystère dans tous les sens, imaginant pour son père des vies d’aventurier incroyables. Toutefois, s’il est un endroit où elle le rejoint vraiment, c’est dans ce mot de « disparition », qui n’est pas la mort. Et d’interroger le langage : est-ce un état, un processus, une action ? Disparaître, c’est ne plus être là, cesser d’exister, être invisible, or Aliona voit son père partout, en rêve, dans ses souvenirs, même si l’image se dérobe, perd ses couleurs, apparaît en « pièces détachées ». Il aimait les glaces, mangeait du bortsch à même la casserole ; il avait été exclu du Parti communiste et avait compris les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl avant tout le monde. Il y aurait donc un pays qu’on appellerait la disparition, un espace entre les plis de la langue maternelle et de la langue d’adoption. L’écriture plutôt que le vide, où le verbe se fait chair dans un acte de création démiurgique.

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