De la bombe
Clarisse Gorokhoff

Gallimard
blanche
mai 2017
272 p.  17 €
ebook avec DRM 11,99 €
 
 
 
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Pétard mouillé

« Il était une fois seulement, dans un splendide palais sur les rives du Bosphore, une jeune femme qui s’apprêtait à poser une bombe…
Le splendide palais sur les rives du Bosphore, c’est l’hôtel Four Seasons Bosphorus, répertorié dans tous les guides d’Istanbul. La jeune femme, elle, n’est répertoriée nulle part, pourtant je la connais bien ‒ il s’agit de moi. »
Cette phrase « n’est répertoriée nulle part » n’augure rien de bon pour cette jeune femme qui, dès le début du livre, ne sait où se situer.
Ophélie, jeune française passe sa vie à l’hôtel Four Seasons Bosphorus, au bord de la piscine ou dans la chambre, pardon, la suite 432. C’est là qu’elle retrouve son amant, Sinan, riche homme d’affaires louches qui adore rabaisser son entourage et Ophélie en tout premier lieu.
« Ma seule obsession était de plaire, plus que de raison –à la folie, si possible- à cet homme. »
Dans la suite 432, elle rencontre Derya, femme de chambre et plus si affinité. La jeune kurde et Ophélie se lient. Derya lui raconte sa vie, sa famille, ses frères morts ou emprisonnés… et la bombe arrive entre les mains d’Ophélie

Qu’est-ce qui pousse Ophélie, à déposer la bombe, non pas à « Tarabaya, au pavillon Huber, ou le président séjourne en ce moment », mais au bord de la piscine du Four Seasons Bosphorus, et ainsi, en détourner le message politique?
De retour chez elle, elle affronte sa voisine pour une fuite d’eau. A partir de cet instant, les évènements vont s’accélérer et elle va se retrouver en cavale avec un mort dans sa voiture.

Entre deux « actions » Ophélie se raconte, raconte sa vie avec son amant, ses débauches, et aussi, les abandons successifs de sa mère qui l’ont totalement déboulonnée. Il n’y a en elle que des ruines sur lesquelles elle ne peut s’appuyer pour avancer.
Ophélie est une chose, un instrument, une marionnette actionnée par d’autres. Derya, la kurde qui lui demande de poser la bombe. Sinan, son amant qui n’a de cesse de la rabaisser… Il n’y a qu’Eliot, mais elle l’abandonnera, trop prise dans le maelstrom qu’elle a créé sans le vouloir.
Ophélie fuit encore et toujours que ce soit dans l’alcool, les drogues, l’amour, sa façon de se comporter, son besoin de sensations fortes. L’impression qu’elle se laisse balloter par les vagues de ses rencontres qui peuvent tourner au meurtre
« Je déteste la sobriété. Quand elle n’obstrue pas complètement les idées, celles-ci affluent sombres et tranchantes, et je ne sais pas quoi en faire. »
Je reconnais une belle écriture, Clarisse Gorokhoff ose la crudité sans vulgarité, le texte est alerte, quelque fois bouleversant, drôle, ironique. Pourtant, je n’ai jamais trouvé un endroit où m’accrocher à Ophélie. Fidèle à ses cavales, elle m’a fui.
Livre lu dans le cadre des68 premières fois
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Un premier roman détonnant et prometteur !

« Il était une fois, dans un splendide palais sur les rives du Bosphore, une jeune femme qui s’apprêtait à poser une bombe… »

En revenant à cet incipit après avoir terminé ce livre, je me dis que cette entrée en matière est rudement bien choisie tant elle donne le ton de ce qui va suivre. Je me dis aussi que l’aventure des 68 premières fois m’offre, parmi 150 premiers romans lus chaque année quelques découvertes vraiment intéressantes. De la bombe en est un bel exemple. Un roman culotté, une écriture rythmée, élégante, charnelle parfois. Une héroïne étonnante, complexe, tourmentée et qui provoque des sentiments très divers chez le lecteur, entre incompréhension, compassion et colère.

Qui est-elle cette Ophélie qui dépose d’un air tranquille une bombe dans une cabine de piscine en plein milieu d’un hôtel de luxe d’Istanbul ? Défend-elle une cause ? Que fait cette jeune française établie en Turquie depuis plusieurs années, sans travail, hébergée grâce à l’entregent du mystérieux Sinan, son amant et protecteur ? Quelle relation entretient-elle avec la belle Derya, dont la sensualité agit comme un aimant sur ceux qui l’approchent ? Après avoir déclenché le détonateur, Ophélie se terre dans son appartement d’un quartier chic d’Istanbul avant qu’une succession d’événements ne la projettent dans un road-trip sur les routes du pays.

« A force de ne pas parvenir à me faire aimer d’un seul individu, il me reste la possibilité de me faire haïr du monde entier. »

Au fil de l’intrigue, on en apprend un peu plus sur Ophélie, les failles secrètes qui l’ont menée dans ce pays, on comprend peu à peu quels sont les ressorts de cette fuite en avant qui passe par les sensations, la quête charnelle, la prise de risques. Est-elle sous emprise Ophélie ou au contraire en pleine maîtrise ? J’ai dit que ce livre était culotté. C’est vrai qu’il faut un certain culot pour faire de cette poseuse de bombe une héroïne sur le fil du burlesque. Mais ça marche parce que les ressorts psychologiques qui l’animent sont parfaitement fouillés et crédibles. Ca marche aussi parce que le parfum de l’Orient irrigue le récit, là où Istanbul marque la frontière entre Orient et Occident, ce qui projette une atmosphère singulière, entre contes orientaux et réalité politique avec notamment l’évocation de l’opposition Kurde.

Si j’ai aimé ce livre, c’est vraiment grâce à l’écriture de cette jeune auteure qui rend le parcours rien moins qu’envoûtant et fait oublier l’horreur liée au thème (et que l’actualité nous rappelle malheureusement trop souvent). Elle parvient à allier force et légèreté dans un cocktail aux accents poivrés et acidulés. J’ai parfois pensé à un autre premier roman, Moro-sphinx de Julie Estève dont l’écriture possédait cette même force suggestive et dont l’héroïne, Lola était tout aussi complexe.

Une belle découverte et une plume que je suivrai à l’avenir, sans aucun doute.

http://www.motspourmots.fr

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