Eden
Monica Sabolo

Gallimard
août 2019
288 p.  19,50 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Filles de la forêt

Monica Sabolo fait de la forêt le territoire symbolique de l’adolescence : sombre, fragile, protectrice et dangereuse, c’est aussi le lieu des transformations, de l’éveil des consciences et des rites d’initiation.

Le roman se situe dans une réserve amérindienne du nord de l’Amérique où s’opposent deux clans : ceux qui protègent et respectent l’écosystème et ceux qui le massacrent. Dans cet environnement menacé par les exploitants forestiers blancs, les autochtones perdent peu à peu du terrain. Parmi eux, la lycéenne Nita, qui vit avec sa mère à la lisière des bois, lieu de disparitions de jeunes filles du coin et du père de Nita elle-même, avalé lui aussi par la forêt trois ans plus tôt. A la fin de l’été, un père et sa fille emménagent dans la maison voisine. Lucy et Nita se retrouvent dans la même classe sans être amies, car Blancs et autochtones ne se mélangent pas. Pourtant toutes deux sont à l’âge des mêmes expériences transgressives : alcool, cannabis, sexe… Avec sa copine Kishi, Nita fait du stop pour se rendre les soirs de fins de semaine au Hollywood, un bar tenu par cinq femmes qui accueille essentiellement des travailleurs de l’exploitation forestière et gazière. Les serveuses fascinent Nita, qui rêve de faire partie de leur clan mystérieux et puissant ; mais l’adolescente est aussi attirée par la secrète Lucy qui tente de l’entraîner à la poursuite des esprits de la forêt. Lucy est différente, elle « fait des trucs », attire les garçons et provoque les médisances des filles. Un jour, elle disparaît à son tour, victime d’un viol. Pendant que la police enquête, Nita se révolte. Les esprits de la forêt sont prêts à se venger, à venger l’une des leurs, âme pure et innocente que les mâles ont abîmée comme ils saccagent la forêt à coups de tronçonneuses. Les animaux, la forêt, les jeunes filles, tout se mêle en une sorte d’écoféminisme qui assimile l’oppression des femmes à la destruction de la nature, avec pour ennemis communs le patriarcat et le capitalisme. A la fois inspirée par Joyce Carol Oates et Laura Kasischke, Monica Sabolo, dans une écriture poétique et sensible, réussit à édifier une atmosphère envoûtante, et parle magnifiquement du paradis perdu, de l’adolescence qui éprouve les premiers enjeux sociaux et la domination des puissants sur les minorités.

 

partagez cette critique
partage par email
coup de coeur

« Eden » de Monica Sabolo
est le coup de coeur de la Maison de la presse de Caussade
dans le q u o i  l i r e ? #85

partagez cette critique
partage par email
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

J’avais découvert Monica Sabolo, il y a deux ans, avec son précédent roman « Summer ».
J’ai retrouvé dans « Eden » des thèmes qui lui paraissent chers : l’adolescence, ses tourments, la disparition, la nature et notamment la forêt qui tient dans ce roman une place prépondérante.
Lucy, 17 ans, vient s’installer avec son père dans ce qui fut une ancienne caserne de pompiers en lisière d’une réserve indienne.
Elle fréquente le lycée où les élèves sont en grande majorité autochtones. Elle n’a pas réellement d’amis mais parle de temps en temps à la jeune narratrice, Nita, qui prend le même bus scolaire qu’elle.
Au bout de quelques semaines, Lucy disparaît pendant deux jours. Quand on la retrouve inconsciente à l’orée de la forêt, elle est entièrement nue, recouverte de terre et semble avoir été violée.
Nita va alors remonter le cours du temps pour tenter de comprendre ce qui s’est réellement passé car Lucy est prostrée, mutique et ne peut révéler le nom de son ou ses agresseurs.
C’est ainsi que l’on découvre que la jeune fille aimait se rendre dans la forêt la nuit, là où, disait-elle, agissent les « Esprits ». Il faut dire que cette forêt profonde qui jouxte la réserve est menacée de destruction par l’industrie pétrolière.
Des hommes y travaillent toute la journée, arrachant et coupant les arbres. Le soir venu, ils investissent le seul pub du coin où l’alcool coule à flots. Les nuits sont devenues dangereuses près de la réserve : viols, disparitions de femmes. La police n’est pas très diligente à retrouver les coupables…après tout, il ne s’agit que de femmes indiennes.
Alors, les femmes sont parfois obligées de se faire justice elles-mêmes.
J’ai profondément aimé l’ambiance de ce roman, les portraits psychologiques de ces adolescents confrontés à la dureté de la vie de cet endroit, les descriptions de la forêt qui semble si mystérieuse, attirante et tout à la fois effrayante : « Je me souvenais des arbres fantômes. On disait qu’il existait une forêt invisible, constituée par la mémoire des arbres disparus. A leur mort, les spécimens les plus anciens, les plus majestueux, demeuraient vivants dans l’autre monde. Leurs racines continuaient de pousser, créant un réseau secret et sinueux qui s’étendait sous la surface de la terre à la façon d’un filet de cordes noires. Là où s’était dressé leur tronc s’ouvrait une faille dans l’espace et le temps, où l’on pouvait s’insinuer, comme par une trappe, et pénétrer le territoire des esprits. On pouvait aussi se tenir là, à la frontière entre le visible et l’invisible, et disparaître aux yeux de toute créature vivante. On disait encore que c’était par les portes des arbres fantômes que les esprits des morts s’introduisaient dans notre monde, sous une forme animale. »
Si vous ne connaissez pas encore l’univers et l’écriture de Monica Sabolo, lisez vite ce roman pour les découvrir.

partagez cette critique
partage par email