En attendant demain
Nathacha Appanah

Gallimard
blanche
janvier 2015
208 p.  17,50 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Le chagrin sous les apparences

Il est des textes où, dès les premières lignes, une situation étrange nous interpelle. Des textes qui ne nous donnent pas immédiatement leurs clefs mais nous entrainent à rebours dans les vies des personnages jusqu’à ce qu’on découvre ce que, confusément, on avait pressenti.

Lorsqu’on se plonge dans le nouveau roman de Nathacha Appanah, on devine que quelque chose de terrible s’est passé, on en est même certain, pourtant on ne sait de quoi il s’agit. La romancière nous dit seulement qu’Adam est en prison depuis un peu plus de quatre ans. Anita, sa compagne, s’occupe seule de leur fille. Entre eux, plane l’ombre d’une autre femme, Adèle. Voilà. On ignore ce qui s’est joué entre eux et Nathacha Appanah va détricoter les événements pour nous, page après page.

Cela fait longtemps qu’on attendait Nathacha Appanah, depuis 2007 et l’émouvant « Le dernier frère ». Née à l’île Maurice et installée en France, cette romancière nous a conquis par ses doux et douloureux livres pleins de sensibilité. Nathacha Appanah est une petite voix, chargée d’émotion, qui n’a pas son pareil pour raconter les chagrins enfouis sous le quotidien. Tel ce très beau « En attendant demain », où elle croise avec grâce deux destins de femmes.

Anita est née à Maurice, elle a rejoint Paris pour suivre des études de lettres. Elle rencontre Adam qui prépare un diplôme d’architecte. Ils ne se sentent pas à l’aise dans la capitale et décident de s’établir au Pays Basque, région natale d’Adam.

Appanah scrute leurs rêves qui bientôt vont s’éroder. Ils pensaient qu’ils allaient former un couple -et bientôt une famille- unique, enviable, exemplaire. Anita devait profiter du calme de la vie de province pour écrire des romans, sauf qu’elle n’y parvient pas. En attendant elle s’occupe de leur petite fille, de la maison, et s’enferme dans ce rôle de femme au foyer pour lequel elle n’est pas faite. Elle tente de trouver du boulot, mais le journal régional ne lui propose que quelques maigres piges sous-payées qui l’épuisent. Surtout, son origine exotique, la couleur de sa peau, font d’elle une éternelle étrangère dans cette région rurale où elle ne trouve pas sa place.

Appanah décrit la maison qui part à vau l’eau, l’impuissance d’Adam qui voudrait aider sa femme mais ne trouve pas les mots et, au fond, ne la comprend pas, ce bonheur figé auquel s’accroche Anita qui ne prend pas la mesure du désastre. La romancière observe aussi avec une acuité particulière ces apparences de sérénité que le couple tente de conserver coûte que coûte, surtout lorsque l’été débarquent de vieux amis parisiens, connus au temps de la fac et des illusions. On lit alors l’incompréhension des uns et des autres, l’incommunicabilité, le savant dosage d’envie réciproque, enrobée d’une vieille amitié que nul ne veut briser.

Non loin de là vit Adèle, née elle aussi à Maurice, enfuie de son île après un drame, sans papiers en France et au service d’employeurs peu charitables. Sans tomber dans le mélo, Nathacha Appanah entre dans cette vie arrêtée, mécanique et harassante, où aucun avenir ne semble envisageable.

Oui, les deux femmes vont se rencontrer. Et oui, parce qu’elles sont de la même origine, mais pas seulement pour cela, cette rencontre va être pour Anita un soulagement, une sorte de renaissance. Le quotidien d’Adam et Anita va être transformé par la présence silencieuse d’Adèle, et l’espoir d’une nouvelle vie devient possible. Pourtant tous deux marchent inexorablement vers un drame, qui survient sans qu’ils n’aient pu ou voulu le prévoir.

Ce n’est pas tant son dénouement qui fait la saveur de ce livre, mais plutôt son patient cheminement. Les petits détails du quotidien, l’observation si juste de la condition des femmes au-delà de leur milieu social, la solitude de ces êtres et leurs vies pleines de chagrins rentrés, l’émotion toujours qui affleure, c’est bien cette petite voix de Nathacha Appanah qui débusque, sous les apparences, le désarroi de chacun.

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