F
Luis Seabra

Rivages
août 2014
112 p.  15 €
ebook avec DRM 10,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

Au bout de l’enfermement…

Notre mémoire collective et notre histoire sont pleines de ces dérives totalitaires et policières dont Orwell et quelques autres ont dressés des portraits des plus inquiétants et qui apparaissent parfois bien en deçà de la réalité. Avec ce premier roman, Luis Seabra, nous emmène dans ce monde et des récits d’une inquiétante étrangeté, dans un univers que l’on ne peut s’empêcher de qualifier de « kafkaïen », avec peut-être encore plus de « réalisme irréel ».
Les phrases finales du livre livrent sans doute une clé pour appréhender ce récit démultiplié et et scindé en trois. Trois fois trois même : trois voix et trois moments d’une même chronique, celle d’une ambition, d’une ascension et d’une chute programmée, sinon annoncée.
« Le livre en question ne figurait dans aucun catalogue. Il était posé sur un vieux pupitre, dans une pièce rouge à laquelle on n’accédait que dans son sommeil, au terme de plusieurs cauchemars. »
Nous sommes au cœur d’une prison et d’un dispositif pénitentiaire qui masque son nom, et de son organisation administrative et politique. La prison est ici un outil puissant au service d’un pouvoir particulièrement « tordu », qui a dépassé le stade de la répression, ou même celui de la gestion des « lieux de privation de liberté », pour la PNRP, la « politique nationale de regroupement préventif ». Entre police courante et services secrets très politiques, très liés au pouvoir (style KGB, Stasi, ou leurs équivalents « libéraux »), les techniques les plus sophistiquées de soumission à l’autorité et de ré-éducation semblent bien opaques, mais terriblement efficaces.
Trois voix s’élèvent de ce lieu où tout, absolument tout ce que vous pourrez dire ou faire, voire penser, pourra être retenu contre vous.

Linz, un avocat gênant qui ne sait plus de quoi on l’accuse mais qui finit par se vivre comme destiné à l’enfermement carcéral. Boehm, directeur modèle d’une prison qui ne l’est pas moins et qui va devoir aller jusqu’au sacrifice de lui-même pour accomplir sa mission. F, prisonnier qui est sans doute plus qu’un simple prisonnier. On ne sait qui ou quoi tient les fils de toutes ces marionnettes… s’il existe quelqu’un ou quelque-chose qui serait au cœur du dispositif. Le monde de cette prison et de cette administration qui semblent sorties d’un cauchemar froid, méthodique et incompréhensible, existent-ils seulement pour de vrai? Pour de bon? N’existent-ils pas trop?
F peut être lu dans la fascination d’une angoissante vision, du passé, du présent et de l’avenir, ou comme une allégorie de nos peurs de l’autre et de la soumission. De notre rapport incrédule, inhumain, trop inhumain, au réel.

Une réussite que l’on peut savourer sans chercher de références mais dans laquelle on peut aussi retrouver les ombres de Kafka, de Maurice Blanchot, de George Orwell ou des travaux de Michel Foucault sur la prison.

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