Faillir être flingué
Céline Minard

Rivages
août 2013
336 p.  20 €
ebook avec DRM 6,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Une histoire moralisante

C’est un western, un vrai, imaginé par un auteur français, et une femme en plus. Il n’en fallait pas plus pour secouer la rentrée littéraire 2013. L’Amérique plaît, et on peut presque parler de mode, en remarquant au passage que cette mode paie : après Maylis de Kérangal, qui en 2010 avec « Naissance d’un pont » (Prix Médicis) nous offrait un « roman à l’américaine », selon les termes de son éditeur, après Joël Dicker et « La vérité sur l’affaire Harry Québert », Grand prix de l’Académie française l’an dernier, voici donc que Céline Minard s’y colle aussi, et s’attaque aux mythes fondateurs des Etats-Unis : l’éclosion, à partir du néant, d’une ville dans l’ouest sauvage. On ne sait pas encore si ce roman décrochera un de ces prix littéraires si convoités, mais, en tous cas, il fait déjà le buzz. Installons-nous, et plongeons dans l’Amérique selon Minard.

Dès les premières pages, nous voilà sur un chariot brinquebalant tiré par des bœufs, aux côtés de Brad, Josh et Jeffrey qui escortent une vieille grand-mère hurlant comme un coyote à chaque soubresaut. En chemin, une petite fille abandonnée se met à les suivre, alors ils la gardent avec eux. Ailleurs dans la plaine, avancent aussi Zeb, Gifford, Elie, hommes égarés ou déterminés, silencieux ou bavards, idéalistes ou pragmatiques, fragiles souvent, et leurs chemins à tous convergent sur un bourg qui n’a de bourg que le nom mais où ils vont se rencontrer. Autour d’une unique rue boueuse se dressent ici un saloon, quelques grandes tentes où on peut louer un lit de camp à la nuit, un barbier. Ces hommes arrivent là, cachant dans leurs souvenirs un passé plus ou moins dramatique que l’on va découvrir petit à petit, et ils arrivent avec un objectif : arrêter d’arpenter la prairie, se poser, et surtout s’organiser tous ensemble, créer un semblant de justice pour éviter de s’entretuer et trouver le moyen de se défendre des dangers extérieurs. En d’autres termes : construire une société.

Les femmes ne sont pas absentes de ce livre. Quelques figures mémorables surgissent au fil des pages et contribuent à l’ambiance survoltée du roman, notamment Sally, la tenancière du saloon, mère maquerelle gouailleuse qui tire au pistolet aussi bien qu’un cow-boy, ou Arcadia, la contrebassiste lesbienne.

Ces hommes et ces femmes dont on suit les aventures plutôt cocasses sont bien décidés à faire ce qu’ils peuvent et entre troc, arrangements à l’amiable, coups de sang et coups de main, la vie s’organise. Chacun regorge d’initiative et chacun contribuera au bien d’autrui, comme Zeb qui crée un établissement de bains ou Gifford qui met sur pied un service de courrier. Parmi eux, les Chinois trouvent leur place. Autour d’eux, les Indiens observent leur manège avec perplexité.

Alors c’est vrai : on retrouve son âme d’enfant quand on lit ce livre et on peut se laisser avec plaisir emporter au fil des pages dans les aventures palpitantes de ces cow-boys rugueux que Céline Minard campe avec brio. Loin du nombrilisme supposé de la littérature française, la romancière s’inscrit clairement dans une forme narrative en effet « à l’américaine », qui convient parfaitement aux grands espaces et aux coups de revolver. Mais est-ce suffisant ? Depuis quand l’art de reproduire une ambiance suffirait-il à faire de la littérature ? Céline Minard se livre à un exercice de style –faire un western. On peut estimer qu’elle l’a réussi. Oui mais : et alors ?

D’autant qu’en outre, on ne peut que regretter une vision un peu trop bon enfant de ce début de monde. Pas de morts brutales ni de viols dans ce roman, et pas d’injustice organisée en système, où l’unique objectif des uns serait de s’enrichir aux dépends des autres. Tous sont animés d’un bel esprit d’entreprise et respectueux d’autrui. Aussi, chacun trouve merveilleusement sa place dans le microcosme imaginé par la romancière, et la fortune sourit forcément à qui sait travailler. Une morale bien confortable qui peut quand même prêter à sourire.

On aurait pu penser qu’un auteur européen revisiterait le rêve américain, apporterait un éclairage nouveau, s’en saisirait pour faire entendre une voix singulière. Céline Minard a, au fond, simplement choisi de lui rendre hommage.

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une grande aventure humaine

Après avoir exploré la science-fiction, la chanson de geste, le portrait Renaissance et le roman érotique, Céline Minard revisite le genre du western et le mythe éternel de la conquête de l’Ouest  dans le très réjouissant « Faillir être flingué », vibrant hommage aux grands espaces et à la « wilderness ». Nul besoin d’être un aficionado du genre pour se laisser entraîner dans cette grande aventure humaine où l’on retrouve certes les traditionnels règlements de compte, courses-poursuites avec les Indiens et autres attaques de diligences, où les personnages, délicieusement caricaturaux, jouent du colt, boivent du whisky et fréquentent des prostituées, avec néanmoins ce supplément d’âme qui émeut et transporte, preuve s’il en faut de l’immense talent de conteuse de Céline Minard.

Quelque part dans l’immensité du Far-West, une ville nouvelle prend forme dans un nuage de poussière, stimulée par quelques nouveaux arrivants dont on ne sait pas grand-chose sinon qu’ils ont affronté la route et survécu à ses dangers, corps fourbus et visages burinés par le soleil. Parmi eux, l’intrigant Zébulon choisit d’ouvrir un établissement de bains, « Au Luxe Rudimentaire, baquets d’eau chaude et d’eau froide », juste en face du saloon où toute la ville se retrouve autant pour le whisky que pour la gouaille de sa tenancière, Sally, un beau brin de fille qui ne s’en laisse pas compter. C’est bien l’avis des frères McPherson, qui ont traversé tout le territoire dans un chariot de fortune, d’Elie et Bird Boisverd qui se sont disputés le même cheval sur des « miles », de Gifford, un médecin repenti sauvé par une Indienne, et d’Arcadia Craig, une contrebassiste délurée régalant les yeux et les oreilles de ce petit monde. Malgré les rivalités, tous se voient contraints d’unir leurs efforts pour construire une ville à leur image et la défendre contre la bande à Quibble, les Daltons du coin, contre les Indiens qui ne sont jamais très loin, et contre la terrible Milice qui entend bien imposer sa loi à nos joyeux drilles.

Pour ne rien gâcher, l’auteur agrémente son récit d’un humour corrosif propre au genre, en alternance avec des passages lyriques d’une grande beauté célébrant la nature indomptée aussi bien que le partage liant les protagonistes entre eux et leur permettant, à partir de rien, d’établir leur petite parcelle de rêve. Si ces hommes et femmes nous semblent si proches et leur univers si familier, c’est en grande partie grâce à la puissance évocatrice d’un auteur qui, dans son travail d’écriture, a pris le temps de se couler dans chacun d’eux, et jusque dans leurs montures, leur accordant ainsi la place qui leur revient de droit. On ne sort pas tout à fait indemne de cette  aventure que l’on imagine déjà sur grand écran, avec suites et retours pour former une grande saga.

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