Gazoline Tango
Franck Balandier

castor astral
escales lettres
août 2017
288 p.  19 €
ebook avec DRM 9,99 €
 
 
 
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coup de coeur

Gazoline Tango

Au début, un nourrisson voit le jour. Il s’appelle Benjamin, et s’il pouvait, il se boucherait les oreilles illico. Sorti d’un ventre qui ne voulait pas de lui mais qui atténuait le bruit furieux de la double pédale grosse-caisse, il se retrouve livré à un monde effroyablement bruyant.

Catapulté dans la cité des peintres, il vit avec sa mère, batteuse dans un groupe de filles punk, et pas franchement habitée par l’instinct maternel.

Benjamin grandira là, comme une fleur des champs qu’un peintre aurait posée sur le béton, une petite tache de couleur dans la grisaille apparente des tours de banlieue.

Un casque sur les oreilles pour le protéger des bruits, il poussera, le nez au vent, entouré par des habitants qui savent bien que la vie n’est pas toujours tendre. Et pourtant, de tendresse, cette histoire en déborde. La tendresse qui ne dit pas son nom, qui ne fait pas dans la sensiblerie, qui est même rude, parfois.

Pour Benjamin, la musique c’est du bruit, il ne la supporte pas, mais il apprendra à aimer Bach sur l’harmonium d’un curé destroy, dans une église que plus personne ne fréquente. Il écoutera les histoires d’un autre temps d’une grand-mère qui habite la dernière bicoque du quartier, au bord de la voie ferrée. Il trouvera du réconfort auprès d’une presque maman, bonne comme le pain, et découvrira la poésie de La Fontaine avec un Africain qui endort les enfants… Et puis il y aura l’eau de la piscine, le retour dans le monde ouaté où les bruits n’atteignent plus ses oreilles et un jour, devenu un peu plus grand, il y aura l’amour de Noémie, la belle sourde-muette, exactement ce qu’il fallait à Benjamin pour découvrir en paix les premiers émois du corps.

En attendant de mourir, comme le Christ, le jour de ses trente-trois ans – il en est persuadé- Benjamin nous emmène dans un monde de démunis aux mains tendues les uns vers les autres. Personne ne reste sur le carreau dans la cité des peintres, personne n’est rien, chacun est riche d’un éclat dans le regard, de rêves et de mots qui sonnent si juste que l’on se surprend à s’essuyer le coin de l’oeil en souriant.

Comme moi, vous écraserez peut-être une larme quand la tour tombera, parce qu’il y a eu tant de vies à l’intérieur, tant de petites gens qui regardent s’effondrer leur maison, qu’il est impossible de ne pas être là, près d’eux, leur tenant la main en silence, comme ils le font. Dignement.

Lorsque j’ai lu les épreuves de ce roman, il m’a fallu en dire quelques mots, tout de suite, parce que j’ai été bouleversée par l’histoire et le style.

L’histoire, je viens de vous en livrer quelques bribes, le style, parlons-en :

Il est extrêmement périlleux d’emprunter la voix d’un enfant. Il est encore plus compliqué de faire évoluer la voix de cet enfant au fil des années, jusqu’à l’amener à l’âge adulte. Ce genre d’exercice de haute voltige demande que l’auteur ait conservé l’enfant en lui, qu’il ne l’ait pas oublié et qu’il restitue ainsi, sans forcer le trait, avec la douce gravité dont sont capables les mômes, une vie pas joyeuse mais jamais triste.

C’est ici la deuxième performance de l’auteur : traiter la gravité légèrement, ne pas lui donner d’importance. Même pas mal !

Je vais donc terminer sur les quelques mots que m’évoque ce roman infiniment puissant :

Il y a des tours qui grattent les nuages dans la cité des peintres.

À l’intérieur, c’est la vie qui grouille, des petites vies de petites gens, des « pas

dommages », des vies de rien.

Une mère keupon et ses copines.

Un prêtre addict aux paradis artificiels.

Un africain poète qui endort les bébés tristes.

Une mémé dans les orties, arôme naturel THC.

Et tous les autres…

Et Benjamin, sorti d’un ventre punk’s not dead avec plein de bruit dedans et dehors.

Alors se boucher les oreilles et traverser l’enfance, grandir, choper toute la tendresse de ceux qui aiment sans le dire, vivre en sourdine, échapper au remue-ménage de Gazoline Tango et tomber en amour pour la belle sourde-muette, quelle aubaine !

Je confirme ce que je pressentais en cours de lecture, la littérature n’est pas morte !

Jetez-vous dès sa sortie sur ce roman qui va faire du bruit, c’est une certitude !

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