critique de "Guerilla", dernier livre de Philippe Will - onlalu
   
 
 
 
 

Guerilla
Philippe Will

oeil de cain
février 2016
254 p.  22 €
 
 
 
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Camarade bourgeois, camarade fils à papa…

1982. Philippe est un fils à papa en rupture avec le droitisme plus ou moins bon teint de ses aïeuls qui a embrassé une carrière musicale dans un groupe de rock assortie de militantisme gauchisant malencontreusement interrompu par un service militaire qu’une erreur de médicament (il a pris les calmants au lieu de prendre les excitants) lui a empêché de by-passer. Avec l’aide du paternel (Directeur de l’Unédic) qui, malgré les désaccords familiaux au sujet des études, du travail et de la vie en général, intercède en faveur de son fils, celui-ci se retrouve à Matignon, sous Mauroy, pour finir son service dans celui qui est en charge de répondre à chaque lettre de plainte et de réclamation reçue par le Premier Ministre. A partir de ce postulat, Philippe Will, avec un humour aussi mordant et acerbe que franchement drôle, un sens des mises en situation et un talent certain pour en faire une narration enlevée, dresse un portrait robot de la machinerie étatique sans concession : entre la chef acariâtre, le sous-chef arriviste, le grouillot sincèrement convaincu de sa mission mais totalement inefficace, les secrétaires plus ou moins affables et bien gaulées, Philippe Will enchante le lecteur de petites anecdotes pas piquées des vers… Philippe (le héros du livre, pas l’auteur, enfin si pas mal quand même) retrouve dans son service un ancien du GUD, Axel, qu’il a croisé sur des terrains de manifestation mais pas du même côté de la matraque avec lequel, les années et un peu de maturité aidant, chacun assagi, il va se lier d’amitié et entrer en résistance contre la chef acariâtre sus-mentionnée en réponse au harcèlement dont le jeune grouillot sus-mentionné est victime, son seul crime étant d’avoir une odeur corporelle digne de l’haleine d’un chacal. D’alcools en psychotropes, de défonce en défonce, Phillippe et Axel partent dans des délires plus réjouissants les uns que les autres jusqu’à imaginer que l’un assassine le Premier Ministre pour punir la chef acariâtre qui l’idolâtre par là où elle a pêché. S’ensuit une élucubration totalement hilarante où Philippe Will laisse parler son ingéniosité sans pareille. Et puis il y a les absurdités liées à l’organisation des services de l’état où tout passe par des sas de vérification pléthoriques sans qu’aucun ne fasse réellement son métier. Des projets de lois écrits par Philippe Will pour nuire à ses supérieurs se retrouvent votés, et le gouvernement fustigé parles médias pour leur imbécillité, alors qu’ils n’auraient jamais dû dépasser le bureau d’à côté… Et puis il y a l’utilisation du « tu » par Philippe Will. Le « tu » faisant référence au Philippe du roman, Philippe Will instaure une distanciation de façade avec son personnage pour permettre au lecteur d’embrasser la position du témoin à côté de l’auteur et se pose également en censeur et en juge de ce jeune effronté qui n’a pas froid aux yeux mais que la vie se chargera bientôt de remettre dans un plus droit chemin. Il désigne son personnage à la vindicte populaire pour mieux dénoncer une administration incohérente, ubuesque, détachée de la réalité. Le « tu » est un miroir, aux alouettes, où tout le monde se fait prendre… Drôle, enlevé, distrayant, absurde, rythmé, intéressant et symptomatique d’une époque pas si révolue, Philippe Will fait passer un très très bon moment ! « Depuis que tu as été surnommé le Charles Manson de la Place du Panthéon, les pays non alignés impriment des T-shirts à ton effigie. » « Si l’hypothèse d’un complot rocardien organisé à l’initiative d’un dénommé Jean-Loup a fait florès dans les milieux underground, la thèse est vite abandonnée au profit de théories plus complexes selon lesquelles tu aurais agi pour le compte de l’Unédic. »

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