Histoire d'amour
Stéphane Audeguy

Seuil
fiction cie
janvier 2020
288 p.  18,50 €
ebook avec DRM 12,99 €
 
 
 
 La rédaction l'a lu

Amours vécues, amours rêvées

Se jouant des lois du temps et de l’espace, Stéphane Audeguy explore nos vies réelles ou rêvées, nos amours imaginaires ou authentiques.

 Chaque semaine depuis plus de trente ans, Vincent se rend au Louvre, en nocturne. Combien de fois a-t-il ainsi dépassé cette statue de Diane chasseresse sans remarquer le détail qui le frappe ce soir-là, cette veinule de marbre ombrant l’aine de la déesse à l’endroit même où Alice, la femme qu’il aime, porte une cicatrice ? Sous le coup de l’émotion, Vincent chancelle aux pieds de la statue et se relève à l’orée d’une forêt, métamorphosé en Actéon, le chasseur de la mythologie grecque qu’Artémis change bientôt en cerf, furieuse d’avoir été surprise nue. De prédateur, il devient alors la proie de ses chiens, qui ne le reconnaissent pas.

Vincent se réveille au moment d’être dévoré. Est-ce parce que « souvent ses rêves semblent survivre à son réveil » qu’il a ce matin-là l’impression qu’« il court dans les bois », qu’« il tue des bêtes dans une forêt antique » tout en beurrant les tartines de son petit-déjeuner ? Une autre nuit, la femme aimée se nomme Ariccia et Vincent, Philippe, un immigré juif aux Etats-Unis envoyé sur le front italien pendant la Seconde Guerre Mondiale. Habité par ses doubles oniriques, Vincent « croit être devenu fou parce que lui reviennent brusquement à la conscience des bribes d’existences multiples, surgies d’autres espaces et d’autres temps ». Mais fou il ne l’est pas, ou guère davantage qu’un éternel amoureux.

   Si aucune histoire d’amour n’est semblable à une autre, il arrive qu’elles tissent entre elles des correspondances défiant les lois de l’espace et du temps. De la Grèce antique au Paris contemporain, Stéphane Audeguy explore les vies multiples d’un héros en prise avec les délices et les affres de la passion. Tissant dans son récit un subtil réseau de correspondances, sa plume érige un roman labyrinthique et envoûtant dans lequel on adore se perdre et termine sa lecture enchantés.

 

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Stéphane Audeguy est un esthète : il a le goût de la beauté et du plaisir. Aussi, chacune de ses phrases revêt les beaux atours de la grâce et ses pages ressemblent à de charmants tableaux devant lesquels on s’attarderait volontiers. Pas de doute, c’est la classe. Ajoutez à cela une pensée originale, libérée, je dirais même insubordonnée, qui a su ne pas s’embourber dans la norme sociale et le carcan du conformisme, un rapport au monde à la fois poétique et extrêmement critique, enfin une érudition et une culture telles que l’on se sent bien petit quand on rédige une chronique sur le travail d’une telle pointure.
Oui, je suis impressionnée, vous l’aurez remarqué et ça me coupe un peu l’herbe sous le pied. J’admire toujours en me taisant. Mais bon, comme je suis là pour parler de son livre, alors je vais le faire !
Abordons le sujet : Vincent, (double de l’auteur?) 53 ans, critique d’art parisien, amoureux d’Alice, une artiste plasticienne, a été témoin d’un attentat qui a eu lieu près de chez lui. Depuis, il a des malaises fréquents et s’imagine (se rêve?) dans le corps d’autres personnes d’époques antérieures ou de lieux divers : il est Actéon, le chasseur, qui découvre Artémis nue se séchant délicatement au soleil. Il est aussi Philippe, jeune Juif new-yorkais qui quitte en 1942 les États-Unis pour devenir soldat et participer à la Seconde Guerre Mondiale en Italie. Il se métamorphose aussi en un peintre florentin de la Renaissance : Pierre de Côme ou en un jeune marin lisboète, Nino Caceres, qui va s’embarquer pour les côtes du Brésil au XVIe siècle… Il est aussi lui-même et revit, dans ses moments d’absence (ou de présence dans un ailleurs enfoui au plus profond de son être) son enfance dans une fade banlieue, la découverte de la sensualité, de la sexualité, ses années d’étudiant…
Concrètement, cela donne lieu à un récit dans lequel vont alterner différents personnages (qui n’en sont peut-être qu’un seul… des doubles de Vincent), différentes époques. Le fil conducteur ? Il est annoncé dans le titre : l’amour, la relation au corps de l’autre, le désir, la mort, la liberté…
Le titre étant au singulier, est-ce à dire que finalement, Vincent est multiple, indéfinissable, inclassable, qu’il tient d’Artémis et de Philippe, de Pierre et de Nino, qu’il est « homme et femme, pauvre et riche, inconnu et célèbre… » à la fois, qu’il porte en lui le désir de l’un, la féminité et la violence de l’autre ?…
« Ces vies qui assaillent Vincent sont si différentes qu’un jour il saisit, en souriant de sa naïveté, cette évidence : il n’y a aucune raison valable de considérer que celle qui jusqu’à maintenant dominait son présent est la plus importante. »
Toutes les histoires d’amour n’en sont qu’une aussi peut-être, comme l’indique le titre, dans son apparente banalité… Une sous différents visages… Qui sommes-nous au fond ? Sommes-nous réduits à n’être qu’un genre, qu’un sexe, qu’une fonction, qu’une vie ? Les personnages évoqués ont en commun le fait d’être libres : ils suivent leur destin et soudain, au détour du chemin, s’offrent l’ audace du pas de côté, du coup de folie. Ils font soudain une pause dans leur histoire : ils ne sont plus chasseur, marin, peintre, soldat mais amoureux, fous de sensualité et ivres de jouissance, de beauté et de lumière, prêts à entraîner l’autre (ou à se laisser entraîner) dans des espaces inconnus, interdits, comme suspendus dans le temps…
D’un personnage à l’autre, d’une situation à l’autre se forme un maillage étroit d’échos et de thèmes récurrents qui tissent les histoires entre elles, créent des correspondances entre les hommes, les époques, le réel et le mythe, la réalité et la fiction.
En tout cas, si j’ai admiré l’écriture de ce roman et dans une certaine mesure sa construction, j’ai trouvé que les parties « historiques », notamment celles concernant Philippe, par leur longueur, déséquilibrent et cassent le rythme de l’ensemble. Peut-être eût-il été nécessaire (le débat reste ouvert) d’accorder moins de pages (et donc de laisser au second plan) des personnages auxquels le lecteur ne s’attache pas vraiment. Autant les réflexions de Vincent m’ont passionnée, autant j’ai parcouru les passages historiques en traînant un léger ennui.
C’est dommage parce que ça risque de détourner d’un bel ouvrage un certain nombre de lecteurs…

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