Instinct primaire
Pia Petersen

NIL
affranchis
octobre 2013
107 p.  8,50 €
ebook avec DRM 6,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu
coup de coeur

La liberté comme mode de vie

« Ils se marièrent, vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Ainsi se terminent les contes de fées. Mais dans la vraie vie, les fées n’existent pas. Dans la vraie vie, la narratrice d’Instinct primaire a répondu oui quand l’homme qu’elle aime lui a demandé de l’épouser. Mais dans cette église où l’union doit être consacrée, elle se ravise : cet engagement-là est contraire à tous ses principes et, au-delà de ses principes, il est incompatible avec son mode de vie et sa conception de l’amour. Car cette femme est écrivain et, si elle n’en aime pas moins les hommes qu’une autre, elle ne veut sacrifier ni l’amour ni sa liberté sur l’autel de ce contrat à durée indéterminée instaurant un droit de propriété que l’on nomme mariage. La collection « Les Affranchis » demande à ses auteurs de rédiger la lettre qu’ils n’ont jamais écrite. La narratrice de Pia Petersen s’adresse à l’homme qu’elle a tant aimé et qu’elle n’a jamais revu depuis qu’elle a quitté cette église. Il était marié, elle vivait avec bonheur sa condition de maîtresse, et puis il a divorcé pour l’épouser elle. Elle croyait qu’il avait tout compris de ses aspirations et de ses choix mais visiblement ce n’était pas le cas – et c’est son besoin de clarifier les choses qui lui fait prendre la plume.

Toutes les petites filles rêvent d’un mariage et de bébés ; c’est du moins ainsi qu’on les élève, leur fichant une poupée dans les bras dès le plus jeune âge. Pourquoi n’en donne-t-on pas aux garçons ? Pour Pia Petersen, femme de lettres née au Danemark mais écrivant en français, l’éducation est la première responsable si la femme est perçue (et se perçoit) avant tout comme un ventre. Le fameux « instinct primaire » qui l’emprisonne et l’empêche de se penser d’abord comme être humain. Pia Petersen se revendique écrivain plutôt que femme qui écrit. Mais pas moins femme pour autant au prétexte qu’elle ne veut ni époux ni enfants.

L’on n’est guère habitué à ce son de cloche. C’est aussi qu’il est compliqué à entendre. Il génère incompréhension, jalousie, agressivité parfois. La liberté des uns place les autres face à leurs propres choix ; et il n’est pas simple d’admettre que ceux-ci auraient pu être meilleurs, voire qu’ils n’ont été faits que sous la pression, si souriante soit-elle, de la société (il est pourtant avéré que la planète n’a pas besoin d’enfants). Pia Petersen déplore de ne pas trouver chez ces femmes qui lui brandissent le mariage et la maternité en étendards le fameux épanouissement qu’elles promeuvent. Mais, sauf à vivre en ermite, comment ne pas subir le regard des autres ? Sauf à être de pierre, comment ne pas en souffrir au moins un peu ? C’est aussi ce constat, désarmant, que fait l’écrivain dans cette fiction efficace qui se nourrit d’intimité. Il est forcément difficile, sinon douloureux, de nager à contre-courant.

N’en déplaise aux bien pensants de toutes espèces, le sexe faible ne l’est plus depuis un moment. Epanouie sans mari ni enfants, écrivain par choix, amoureuse et libre, Pia Petersen véhicule l’idée d’un féminisme qui n’a d’autre revendication que la pleine possession de soi. Et la défense de cette liberté fondamentale ressemblerait presque à un engagement politique. Ultrasensible, l’auteur livre un plaidoyer en faveur de l’amour, le vrai, celui qui s’assortit d’envie, de désir, et de liberté, celui qui n’est que don, celui dont la longévité ne passe pas par l’enfermement. Le tout servi par une écriture incisive et d’une grande justesse. Avec Instinct primaire, Pia Petersen assume son affranchissement total de modèles dépassés que notre société, qui craint plus que tout la solitude, s’entête à maintenir comme normes. Une lettre en forme de manifeste dont la lecture, nécessaire, déculpabilisera bien des femmes.

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