Je viens
Emmanuelle Bayamack-Tam

P.O.L
fiction
janvier 2015
464 p.  19,90 €
ebook avec DRM 13,99 €
 
 
 
 Les internautes l'ont lu

Famille dysfonctionnelle

Je viens est un roman étrange, polyphonique, on suit le récit des 3 femmes d’une riche famille marseillaise.
Tout d’abord, on suit la petite dernière Charonne, une jeune métisse obèse, adoptée par cette famille bourgeoise à 5 ans.Charonne est une petite fille solitaire qui aime sa famille malgré la cruauté et la froideur de ses parents. Elle adore sa grand-mère Nelly ancienne actrice fascinée par sa gloire passée. On suit sa vie entre 5 et 17 ans, ses espoirs, ses désillusions notamment à l’adolescence vis-à-vis de son corps. Elle a un caractère bien trempée et assume son obésité au grand dam de sa mère. J’ai aimé ce regard ironique et à la fois tendre sur la vie. Sa lucidité vis-à-vis des autres membres de la famille, son regard bienveillant. Le fait qu’elle est une combattante, dans ce milieu petit bourgeois froid et aseptisé, qui fait qu’elle passe outre le racisme, le regard qu’on lui jette car elle ne correspond pas aux canons de beauté. On suivra son évolution en arrière plan dans ses relations avec sa grand-mère et sa mère jusqu’à 21 ans. Ce questionnement identitaire chez Charonne, pas assez noire pour certains et trop chez d’autres, je l’ai trouvé intéressant. C’est ce personnage qui m’a le plus touché et j’aurais aimé continuer la lecture avec sa vision.

La deuxième partie est racontée par la grand-mère Nelly, partie plus descriptive qui explique son métier, ses deux mariages d’abord avec Fernand puis Charlie. Elle décrit les ravages de la vieillesse de manière très réaliste et le décalage, elle qui se sent encore jeune et belle alors que ce n’est plus le cas. On a une description d’un monde où règnent l’argent, obsédé par l’apparence, et finalement assez futile. La partie sur le premier mariage est intéressante tous comme la prise de conscience de Nelly, de ne pas avoir assez profité de la vie et de son 1er mari Fernand. On retrouve un discours ironique parfois mais moins prononcé que chez Charonne. Il y a de nombreuses références littéraires dans le roman, à la danse avec Petrouchka de Nijinski, aux contes, ce qui est agréable. Peu à peu, le personnage de Nelly dont la vie était entièrement tournée vers la beauté devient plus attendrissant. Les pensées sont parfois confuses dans cette partie où l’unité du récit est moins claire.
Dans la 3e partie , c’est au tour de la 3e femme de la famille Gladys adepte du bio, de la philosophie bouddhiste, marié à son demi frère Régis. Elle ne se préoccupe que de son couple, des objets qu’elle rénove dans sa maison. On plonge dans son cerveau torturé par la rancœur, ses pensées pleines de fiel à l’égard de ses parents, son beau père et Charonne. Cette dernière partie est celle qui a le ton le plus acerbe. Cette partie est un peu trop longue à mon goût, par contre j’étais contente d’avoir la fin de l’histoire pour Charonne. On a l’impression d’être dans un film noir, de plus en plus cruel et dans la volonté du personnage de faire du mal, de dire la vérité à tout prix, de faire éclater les non dits. Pas de demi-mesure chez Gladys, j’ai eu du mal à avoir de la compassion pour cette pauvre petite fille riche. Mais le personnage est cohérent et vraiment décrit au vitriol.
En bref, ce roman est le portrait d’une famille bourgeoise dysfonctionnelle où réalité et fiction, passé et présent se confonde comme avec le mystérieux homme du bureau. J’ai aimé cheminer avec Charonne, jeune femme courageuse qui ne se laisse jamais abattre, découvrir Nelly derrière son masque frivole et être ébahie par la bêtise et la méchanceté de Gladys. Mais le style très descriptif et les longs monologues des personnages peuvent gêner l’histoire. Donc impression mitigée en fin de lecture, car certains personnages comme Gladys, Charlie ou Régis m’ont laissé de glace mais j’ai apprécié Charonne et Nelly, donc pour vous faire une idée des tourments d’une famille marseillaise, ouvrez ce roman et faites vous votre propre avis.

partagez cette critique
partage par email
 
coup de coeur

Trois générations sous un même toit.

Roman des origines, roman familial, roman des mères et des filles, des pères absents et des relations perdues, « Je viens » est l’histoire de trois générations qui cohabitent dans une maison à Marseille, aujourd’hui.

C’est la voix de Charonne qui ouvre le roman, avant de passer le relais à sa grand-mère Nelly puis à sa mère adoptive Gladys. Charonne été adoptée à l’âge de cinq ans par un couple de bobos immatures accrocs à la macrobiotique et au bouddhisme, persuadés d’avoir été dupés par cette enfant étrange qui déçoit vite leurs espérances. En effet, non contente d’être noire, leur fille devient obèse et n’a semble-t-il pas d’autre but que de leur pourrir la vie. Mais dans leur genre, les Meuriant ne collent pas non plus aux stéréotypes d’une famille bourgeoise bon teint. Ayant toujours vécu de leurs rentes sous le toit parental, Gladys et Régis se sont rapidement défaits de leurs costumes d’adultes responsables trop larges pour eux, préférant courir les monastères tibétains ou s’adonner à la décoration intérieure. Abandonnée à elle-même dans la grande maison familiale, forteresse imprenable où s’invitent des amis imaginaires mais d’où il est impossible de s’échapper autrement que par la fiction ou par la mort, Charonne grandit tant bien que mal entre une grand-mère ancienne vedette de cinéma qui n’en peut plus de faire le deuil de sa jeunesse, et un grand-père sénile et raciste qui n’a jamais été bon à rien. Elle décide très tôt de prendre son destin en main en assumant ses différences et en les soulignant, tout en posant sur le petit monde égocentrique qui l’entoure un regard lucide et bienveillant à la fois. La composition narrative ressemble à un kaléidoscope qui réfléchit la détresse intime de trois femmes, filles et mères, chacune privée du regard de l’autre. Comme il faut bien trouver des palliatifs à ce manque, Charonne s’engouffre dans l’imaginaire et la fantaisie, Nelly se réfugie dans les souvenirs et Gladys dans le projet d’une vie érémitique à l’autre bout du monde. Mais un dilemme se pose : si rester à la maison peut s’avérer toxique, en partir semble irréalisable.

Comment se construire avec des défauts de transmissions, un matérialisme étouffant et une filiation ratée ? Au lieu de sombrer dans un pathétique trop facile, Charonne bouscule les règles, réveille la maison de la Belle au bois dormant en fanfare, fait taire l’acrimonie et la nostalgie régnantes et tourne mensonges et non-dits à son avantage. « Je viens » est une satire familiale où chaque membre en prend pour son grade, où le tragique quotidien est ridiculisé par un comique de survie, dans lequel tout finit par des chansons.

partagez cette critique
partage par email